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l’Angleterre donnât même des encouragemens, car elle les avait souvent refusés : il était certain qu’elle n’accorderait ni une livre, ni un navire, ni un soldat. La France seule, selon la prévision de Gioberti, pouvait devenir une alliée utile.


VII

Les Italiens l’espérèrent dès qu’ils virent le pouvoir du Prince Louis-Napoléon assuré par le coup d’État.

Le jour même du 2 décembre, mon père rencontre Manin, réfugié à Paris depuis la chute de Venise ; il lui adresse sur l’événement du jour quelques mots fiévreux au bout desquels il attend une indignation. « Il fera quelque chose pour nous », répondit Manin en souriant.

Les Piémontais conçurent cependant quelques inquiétudes. Le nouveau dictateur n’allait-il pas subordonner sa bienveillance à l’abandon de leurs institutions libres ? La Prusse et l’Autriche l’exigeaient, en paraissant le conseiller. Schwarzenberg disait que l’Europe ne redeviendrait paisible que si l’on réduisait au silence les libéraux suisses et piémontais, et il accusait le Piémont de manquer journellement aux stipulations du traité de Milan. La situation serait devenue critique, si le Président s’était joint à lui. Il s’y refusa. Sous des formes bienveillantes, il fit engager à maintes reprises d’Azeglio à veiller sur les menées des réfugiés et à tempérer les violences de la presse. Du reste, il fit déclarer que le coup d’État ne devait pas être considéré comme un acte réactionnaire, comme une menace à la liberté des États constitutionnels. La France avait agi selon ce que son intérêt lui avait paru conseiller, elle n’entendait pas se mêler des affaires intérieures de ses voisins. Elle aimait le Piémont constitutionnel, elle le préférait même ainsi[1].

Notre ministre à Turin, Butenval, ayant apporté dans ses réclamations contre certains réfugiés et contre certains journaux une rudesse blessante et comminatoire, il ne fut pas soutenu à Paris. Le ministre des Affaires étrangères se montra, sur l’ordre de l’Empereur, de la plus amicale courtoisie dans ses explications avec l’envoyé sarde, Villamarina : « Nous nous entendons mieux

  1. Massimo d’Azeglio à Villamarina à Paris, 3 octobre, 20 octobre 1852. Nicomede Bianchi, t. VII, p. 102, 105, 523. — Lettre de Cavour à Ponza di San Martino, de Paris, du 4 septembre 1852.