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anxieusement aux informations, les puissans s’impatientaient. Bismarck s’en plaignait à Goltz. « Je ne puis partager l’opinion de V. E. que l’Empereur laisse pendant longtemps un ministre persévérer dans une conduite politique qui n’a pas la complète approbation du souverain et que le souverain ne lui a pas donné mission de poursuivre… Comme, à l’occasion, il a utilisé l’attitude différente du prince Napoléon pour l’adopter ou l’abandonner suivant les besoins, ainsi, aujourd’hui, le langage double de la France[1] est une inspiration de la volonté de l’Empereur pour se réserver la possibilité de passer en moment opportun d’un côté ou de l’autre[2]. » Boutade injuste, malheureusement trop justifiée par les apparences.

Lutter contre les événemens, contre les malchances, contre les machinations de l’ennemi, suffit à absorber toutes les forces d’un chef d’Etat ; comment ne serait-il pas débordé s’il doit soutenir une opposition sourde de la part de ceux sans le concours convaincu desquels ses desseins courent le risque d’échouer ? Telle est cependant la pénible situation dans laquelle Napoléon III s’est trouvé durant tout son règne. Il n’y a pas à blâmer ceux de ses serviteurs qui essayèrent de contenir ou de déjouer ses projets, car ils étaient assurés de servir le véritable intérêt de leur pays. Ceux qui les eussent secondés de tout cœur, les républicains, avaient été rejetés dans une opposition irréconciliable. Nous retrouvons encore ici une autre conséquence fatale du rétablissement de l’Empire. Il a fallu à l’Empereur une volonté indomptable et un sang-froid presque héroïque pour faire quoi que ce soit dans le milieu hostile à ses entreprises où il avait établi son gouvernement. Mais la volonté est ce qui s’use le plus vite, et les obstacles, en apparence les plus légers, ne sont pas ceux qui la brisent le moins. Une fée malfaisante, m’a-t-on conté jadis, avait enfermé un preux chevalier dans un castel n’ayant pour clôture que des toiles d’araignée. Le chevalier la nargue : des toiles d’araignée ! De son épée, il en soulève une ; une autre se forme ; il la détruit de même ; mais une autre se montre déjà ; puis une autre et encore une autre, et ainsi sans trêve ; le chevalier se rend à merci. Il en adviendra ainsi, avec le temps, de cet homme d’idéal, de générosité et de bonne volonté.

  1. Une partie de la diplomatie blâmait l’annexion des duchés approuvée par l’Empereur.
  2. Sybel, t. IV, p. 77.