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croissans aux filles-mères. Il les fait honnêtes, loyales, désintéressées, héroïques. Il en a encore mis une dans Mariage bourgeois, qui est exquise. — Enfin, le mariage, trop souvent, se passant d’amour et n’étant qu’un marché, M. Alfred Capus confesse une préférence de plus en plus marquée pour le concubinage, dans les cas où le concubinage n’est pas déshonoré lui-même par la question d’argent. Et il a soin de communiquer ce sentiment à quelques-uns de ses personnages « sympathiques ». Dans Rosine, il faisait absoudre l’amour libre par un père de famille : il le fait absoudre, dans Mariage bourgeois, par une jeune fille bourgeoise.

M. Alfred Capus paraît donc assez hardiment révolutionnaire. Mais je ne fais ici que signaler ses tendances, puisqu’il n’est point un écrivain à thèses et qu’il ne disserte jamais. Il a ce grand mérite, de soulever fréquemment des cas de conscience, sans s’en douter peut-être, et rien que par la façon dont il observe et traduit la réalité. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que l’esprit de son théâtre est généreux, avec un soupçon de scepticisme et de veulerie et quelque incertitude morale. Il n’a pas la sereine et sûre distinction du bien et du mal, qui est une des marques, par exemple, de M. Eugène Brieux. Cela veut peut-être dire que M. Capus respecte mieux la complexité des mobiles humains. Mais il est un point qui, au travers des questions de casuistique posées et non résolues, et peut-être non aperçues par l’auteur, ressort de plus en plus (qui l’aurait cru naguère ? ) du théâtre de ce réaliste ironique ; et sur ce point nous pouvons nous accorder avec lui : c’est que la première et la meilleure vertu (il dirait, lui, « la seule », en quoi il aurait tort), c’est la bonté.

Et maintenant, il faut bien dire un mot de la fable de Mariage bourgeois. Ce n’est pas très commode ; car l’éparpillement de l’action et de l’intérêt est le plus grand et sans doute l’unique défaut de cette comédie. Essayons pourtant, en ne retenant que l’essentiel.

Henri, jeune avocat qui veut faire son chemin, fils du digne chef de bureau André Tasselin et neveu du banquier Jacques Tasselin, est fiancé à Mlle Ramel, qui a 200 000 francs de dot.

Ici intervient notre Piégois : Il dit au banquier Tasselin (j’abrège ses propos et j’en intervertis l’ordre, mais cela vous est égal) : « Vous êtes, quoique personne ne s’en doute encore, dans de mauvaises affaires. Je vous prête 500 000 francs, mais à une condition. Ma fille Gabrielle, qui a un million de dot et trois millions d’espérances, est follement éprise de votre neveu. Je la lui donne si vous voulez. — Mais son mariage avec Mlle Ramel ? — Vous pouvez le défaire. Votre