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Barras, repose dans une maison voisine. Barras, qui s’est imprudemment mis à sa poursuite, se voit soudainement entouré par les faux villageois armés d’engins champêtres. Il ne perd pas la tête et demande à présenter ses hommages à Sa Majesté Louis XVII. On amène l’enfant sur un brancard orné de feuillages et de fleurs, sorte de pavois rustique, et Barras lui baise respectueusement la main et l’assure de son dévouement profond, quoique éventuel…

Voilà bien de la variété, bien de l’agrément, bien de l’esprit, bien de l’ingéniosité, et, semble-t-il, tout ce qu’il faut pour plaire. D’où vient donc que Paméla n’ait pas obtenu le succès étourdissant de Madame Sans-Gêne ni même le succès de Thermidor ? J’en entrevois trois ou quatre raisons.

Il y avait dans Thermidor plusieurs forts « clous » : le chœur des tricoteuses, le cantique des religieuses dans la charrette, la séance de la Convention, — sans compter, dans un ordre d’intérêt plus rare, l’admirable scène des dossiers. Les « clous » de Paméla sont plus modestes. — Dans Madame Sans-Gêne il y avait le premier Empire, et il y avait « Lui » ! Le décor et les costumes de Paméla sont moins nobles et moins magnifiques ; et peut-être aussi que le Directoire est une période trop hybride et dont la description morale, même superficielle, comporte trop d’ironie pour que la foule y prenne un plaisir simple et sans mélange.

Surtout, la pièce elle-même est hybride. L’hypothèse de M. Sardou touchant l’évasion de Louis XVII fait que Paméla n’est ni un drame historique, ni une fiction.

Il est peut-être vrai, quoique indémontrable, que l’enfant royal ait été enlevé de son cachot ; mais quelques curieux seuls y croient : la foule, prise en masse, n’y croit pas, et c’est sans doute ce qui la gêne ici. La défiance qu’elle a l’empêche de se laisser prendre aux entrailles. Elle pourrait s’émouvoir sur la délivrance d’un petit martyr qui s’appellerait Emile ou Victor et qui aurait été inventé par l’auteur. Mais, du moment que l’enfant dont on lui montre l’évasion s’appelle Louis XVII, elle résiste, parce qu’elle a idée que cette évasion n’a jamais eu lieu, et parce que Louis XVII, pour elle, c’est, essentiellement, l’enfant maltraité par le cordonnier Simon et mort de rachitisme au Temple. On est intéressé, mais peu touché, par le développement d’une hypothèse contre laquelle on était en garde d’avance. Paméla manque à cette règle, tant de fois promulguée et établie par mon bon maître Sarcey, qu’une pièce historique ne doit pas trop contrarier les notions ou les préventions du public sur les événemens et les personnages