Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enrichir. Chose étrange, il s’était acquis la réputation du premier agronome de son temps ; on le nomma secrétaire du Conseil d’agriculture ; on lui rendait le témoignage qu’il avait contribué plus que personne au perfectionnement des méthodes, que son pays lui avait de grandes obligations. Priestley lui avait écrit : « Il n’est pas d’homme à qui j’aie plus de plaisir à rendre service qu’à vous, parce qu’il n’est pas d’homme dont les recherches aient été plus utiles. Vous avez plus fait pour l’avancement de l’agriculture dans ce pays que tous vos devanciers réunis. » Sa renommée s’était répandue dans toute l’Europe ; on accourait de toutes parts pour lui demander des conseils. Le prince Potemkin lui envoyait de jeunes Russes désireux de se formera son école. Le baron de Sylvestre, incarcéré sous la Terreur, avait obtenu sa grâce en alléguant qu’il avait bien mérité de la République par la publication d’un abrégé des Voyages d’Arthur Young. « Remerciez de ma part votre ami, disait-il à un Anglais ; c’est lui qui m’a sauvé la vie. » Plus tard, le Directoire fera traduire tous ses ouvrages. Et cependant ce grand agronome, dont les aphorismes étaient des oracles, fut toujours près de ses pièces ; comme son père, il eut des dettes qui lui pesaient sur le cœur ; ce ne fut que dans les dernières années de sa vie qu’il réussit à s’en libérer. « Par une ironie du destin, dit Miss Betham, les décisions de cet agronome faisaient partout autorité, et ferme après ferme, tous ses essais agricoles furent des désastres. » Il finit par se lasser, il renonça à la partie, et retiré à Bradfield, il se contenta d’écrire de savans mémoires, en cultivant le jardin qu’il avait hérité de sa mère.

A quoi faut-il attribuer ses insuccès, ses mécomptes ? A l’inquiétude de son esprit, à ses curiosités trop vives et trop diverses. Il y a des gens qui se trouvent mal d’être les esclaves de la routine ; peut-être la méprisait-il trop. Les nouveautés l’enchantaient ; il avait la passion des expériences, et les plus coûteuses n’étaient pas celles qui l’alléchaient le moins ; quand son imagination avait pris feu, il ne calculait plus, ne regardait plus à la dépense. En 1787, il s’était rendu à Béziers dans l’espoir d’y rencontrer le célèbre éditeur du Journal physique, l’abbé Rozier, qui faisait valoir une ferme dans les environs. On lui apprit que, l’évêque ayant voulu ouvrir, aux frais de la province, une route qui conduisît à la porte de sa maîtresse, l’abbé dont cette route traversait les terres, avait quitté la place, qu’au surplus cet abbé susceptible était un étrange agriculteur, qu’il avait eu un jour l’idée baroque de paver une vigne. « Je fus enchanté, écrivait Young, d’avoir connaissance d’une telle expérience, qui me parut trop remarquable pour ne pas la voir. » Par bonheur, il n’y a pas de vignes en