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A coup sûr, il est difficile de donner de la matière une définition qui satisfasse les métaphysiciens. Il sera toujours loisible à un philosophe d’en discuter et d’en nier l’existence ; et le physicien lui-même ou le physiologiste, bien persuadés que l’homme ne connaît pas autre chose que ses sensations et qu’il ne fait que les objectiver et les projeter hors de lui par une sorte d’illusion héréditaire, pourront hésiter sur les caractères objectifs de la matière. D’autres difficultés se présenteront encore si l’on passe outre à celle-ci, et si l’on convient de désigner par matière tout ce qui a étendue ou poids ou masse. On pourra faire observer qu’en ce qui concerne le poids, toute matière n’est pas nécessairement pondérable et que la physique considère précisément une matière impondérable, l’éther, qui n’a d’ailleurs qu’une existence logique fondée sur la nécessité d’expliquer la propagation de la chaleur, de la lumière ou de l’électricité ; qu’en ce qui concerne la masse, c’est-à-dire le paramètre mécanique, son emploi revient, en somme, à faire intervenir l’énergie ou un élément, la force, qui est en liaison avec celle-ci, et par conséquent, à définir la matière par l’énergie ; et enfin que les deux élémens fondamentaux ne sont donc pas irréductibles.

Il faut écarter de parti pris toutes ces difficultés. La physique les néglige provisoirement : c’est-à-dire qu’elle en ajourne la considération. Dans une première approximation, on convient que la matière, c’est ce qui est pondérable. La chimie nous en fait connaître les formes diverses ; ce sont les différens corps simples, métalloïdes, métaux, et les corps composés, minéraux ou organiques. On peut dire, dès lors, que la chimie est l’histoire des mutations de la matière. Depuis Lavoisier, elle en suit les transformations, la balance à la main, et elle constate qu’elles s’accomplissent sans changemens de poids. Que l’on imagine un système de corps enfermés dans un vase clos qui serait placé sur le plateau d’une balance, toutes les réactions chimiques capables de modifier de fond en comble l’état de ce système ne peuvent rien sur le fléau de cette balance. Le poids total est le même avant et après. C’est précisément cette égalité de poids que l’on exprime dans toutes les équations qui remplissent les traités de chimie. D’un point de vue plus élevé, on reconnaît ici la vérification d’une des grandes lois de la nature, la loi de Lavoisier, ou de la conservation de la matière, ou encore de l’indestructibilité de la matière : — « Rien ne se perd ; rien ne se crée ; tout se transforme. »