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Hertford le lui a dit et il tient ses renseignemens de Louis-Napoléon lui-même !

Louis-Napoléon lui-même prenant la peine d’avertir lord Hertford de son noir complot d’invasion, dans la crainte apparemment que les Anglais ne fussent pas suffisamment prêts à le recevoir, c’était prêter à un taciturne, qui venait de faire ses preuves de bon sens, une de ces intempérantes niaiseries auxquelles il n’est pas même honorable de croire. Malmesbury, ami personnel du Président, essaya de dissiper ces appréhensions. Il répondait : « Il n’a aucune antipathie naturelle pour les Anglais ; depuis que je le connais, il a toujours aimé leur société et adopté leurs usages. Il y a vingt ans, à une époque où il ne pouvait jouer la comédie pour moi, qui avais encore moins de chances de devenir secrétaire d’Etat que lui de devenir Empereur, il me disait toujours que la grande faute de son oncle avait été son inimitié pour l’Angleterre ; je ne l’ai jamais surpris à songer à une revanche de Sainte-Hélène. »

Mais la crédulité du parti pris n’a point de limites. Derby persista d’autant plus dans son sentiment que Nicolas l’y excitait fort par la crainte des dangers de la Belgique. Il lui offrait, en même temps qu’aux cabinets de Vienne et de Berlin, de renouveler l’alliance de Chaumont. Il se déclarait prêt, au moindre signal de guerre contre la Belgique, à faire marcher soixante mille hommes, et, si cela devenait nécessaire, toutes ses troupes.

Derby consentit en vue de cette éventualité à la signature d’un protocole qui devait être porté à la connaissance du futur Empereur dès qu’il aurait été reconnu par tous les gouvernemens. Mais il avait refusé de considérer l’échange du titre de Président contre celui d’Empereur, comme une cause de guerre, ni même de rupture des rapports diplomatiques. L’Empire proclamé, quoique nos arsenaux n’eussent jamais été plus inactifs, quoique le moindre petit bateau n’eût pas été remué, ni aucun homme appelé, le grave Derby et la grave Angleterre ne doutèrent pas un instant de l’invasion prochaine. La venue à Douvres d’un navire français, poussé par la tempête, soulève des clameurs d’épouvante : « C’est une reconnaissance ! » On mobilise la milice ; des inspecteurs de cavalerie et d’artillerie parcourent les côtes méridionales ; les compagnies de chemins de fer attendent les ordres du conseil de l’amirauté et du comité de l’artillerie pour transporter de la Tour de Londres à Douvres et à Portsmouth le