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salut de l’État dépend de ces caprices ou de ces habitudes. Alexandre Dumas fils, du reste, qui s’égare seulement lorsqu’il monte à sa tribune de législateur, ne nous a pas dissimulé qu’il regardait le « vrai amour » comme aussi rare que « le vrai génie. » Il n’a oublié que de nous dire par quel mystère la « reconstitution » d’une « force » aussi limitée importait si essentiellement à l’avenir du monde.

En somme, quand il fondait le mariage sur l’amour, il n’avait approfondi ni le sens rigoureux du mot dont il usait, ni les incohérences où aboutissaient ses théories. Il obéissait à une sorte de sentimentalisme indéfini et très répandu, assez analogue à celui qui, vers la fin du XVIIIe siècle, fit fleurir, dans la multitude des âmes sensibles, le goût des riantes vertus champêtres et le culte de la bienfaisante nature. Et puis surtout, il affirmait instinctivement le droit de l’individu à ne subir la contrainte d’aucune obligation sociale, dans un des actes les plus graves de sa vie. La société n’intervenait à l’union de l’homme et de la femme que pour la constater officiellement, et, au besoin, pour garantir l’un des époux contre les manquemens de l’autre à leurs engagemens réciproques. Lorsque les conventions n’étaient plus observées, la société n’avait évidemment d’autre mission que de présider à la rupture du contrat où elle n’était point partie. Le jour même où l’amour était éteint entre les conjoints, elle ne pouvait invoquer aucune raison valable pour conserver un lien qui n’existait que par l’amour. Si l’auteur de la Princesse Georges n’a pas osé aller jusque-là, ses disciples et ses continuateurs n’ont point éprouvé ta ut de scrupules : l’un d’eux employait naguère, sur la scène de la Comédie-Française, toutes les ressources d’un rare talent à nous démontrer comment il est monstrueux de maintenir dans les « tenailles » du mariage une jeune femme à qui le mariage a simplement cessé de plaire ; sa thèse sembla d’une audace paradoxale ; il n’avait fait pourtant que développer, jusqu’à leurs conséquences rationnelles, les idées défendues par son illustre devancier, idées dont la fameuse loi du divorce fut un des principaux résultats effectifs et pratiques.

Cette loi du 27 juillet 1884, Alexandre Dumas fils ne l’a naturellement pas rédigée. Il avait cependant tant dépensé d’activité à en rendre le vote inévitable, il avait tellement remué l’opinion et travaillé les mœurs en sa faveur, qu’il devrait presque en être considéré comme un des auteurs authentiques, ou, au moins,