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patrons pour faire respecter la loi et protéger les personnes et les propriétés. Depuis longtemps il cherchait le moyen de les prévenir et de les arrêter. Il crut l’avoir trouvé dans l’institution des conseils de prudhommes qu’il avait vus fonctionner en France. Ce conseil mixte, composé de délégués élus par les patrons et par les ouvriers, lui apparaissait comme le lien nécessaire entre les Unions de patrons et d’ouvriers, séparés par un antagonisme aussi funeste qu’absurde. Comme Howell et les autres chefs du vieux Trade-Unionisme, il se reportait volontiers au souvenir de ces ghildes de métiers dans lesquelles maîtres et compagnons réglaient d’un commun accord le taux des salaires et les conditions du travail. Imbu de cette idée, il comprenait le conseil des prudhommes, non pas tel qu’il existe réellement, mais tel qu’il devrait être, et il cherchait l’occasion de le faire entrer dans la législation anglaise. Cette occasion ne tarda pas à se présenter.

« En 1860, les affaires allaient au plus mal : une classe d’ouvriers demandant une augmentation considérable de salaires était en grève depuis onze semaines : toutes les Unions la soutenaient ; et les maîtres allaient avoir recours à la mesure extrême d’un loch ont général. Mais c’eût été, dit M. Mundella, jeter toute la population dans la rue et nous aurions eu une effroyable commotion. Nous étions tous las de ces procédés, et quelques-uns d’entre nous pensèrent qu’on pourrait essayer de quelque chose de mieux[1]. »

Mundella proposa donc aux industriels de constituer un tribunal d’arbitres et de demander aux ouvriers de lui soumettre la difficulté pendante. Il y eut naturellement beaucoup d’étonnement et beaucoup de résistance de la part des patrons, mais la majorité finit par accepter. Il fallut ensuite tout son ascendant et son talent de persuasion pour triompher des défiances des ouvriers et de la jalousie des chefs des Unions. Il a raconté lui-même dans l’enquête de 1867 comment il s’y prit : nous ne saurions mieux faire que de reproduire cette partie de sa déposition.

Les patrons avaient consenti à nommer un comité de trois membres avec mission d’inviter les ouvriers à une conférence qu’ils acceptèrent. « Nous nous rencontrâmes tous trois, dit-il, avec une douzaine environ des meneurs de la Trade-Union ; la discussion s’engagea avec eux ; je leur dis que l’état présent des choses était

  1. Les Associations ouvrières en Angleterre, par M. le Comte de Paris, p. 277.