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pourquoi ils affublent leurs pauvres élèves d’une espèce de redingote bleue passepoilée de clair sur toutes les coutures comme on n’en voit qu’à la Comédie-Française dans le vieux répertoire.

Non loin du séminaire, les religieuses du Bon Pasteur, venues de Québec, rendent les plus grands services en formant à l’enseignement des institutrices. La montagne est couronnée par le monument de William Price, le type même du grand marchand anglais, conquérant, pionnier et potentat, dont le nom est répété avec respect et reconnaissance tout le long du Saguenay où il échelonna ses moulins à vapeur, de Tadoussac à Chicoutimi, même au-delà, car il a porté l’industrie forestière jusqu’au lac Saint-Jean.

« Le père du Saguenay », comme on l’appelle, vint au Canada en 1810 et comprit tout de suite quels prodigieux bénéfices rapporterait l’exportation de ces forêts inépuisables. Le blocus continental imposé par Napoléon empêchait alors les pays qui avaient conservé des relations avec la Grande-Bretagne de s’approvisionner en Norvège. M. Price mit cette partie du Canada en coupe réglée et sa dynastie continue son œuvre avec le même renom d’énergie, de probité, d’initiative. Le manoir actuel des Price est situé, avec les jardins qui l’entourent, sur l’emplacement de l’ancienne boutique où leur père faisait vendre des vivres et des effets aux hommes du chantier. À cette époque, il ne pouvait passer qu’à cheval à travers Chicoutimi, faute de chemins praticables. M. Price semble avoir réuni en sa personne toutes les qualités que la politique anglaise a déployées au Canada : force, justice, tolérance et savoir-faire. Il s’est mesuré avec la nature rebelle, avec la Compagnie d’Hudson, plus difficile encore à manier, car elle prétendait tout accaparer pour son compte, et il fallut en venir à de véritables combats corps à corps livrés par les ouvriers des deux puissances ; il a créé une industrie qui constitue, dit-on, à elle seule près de la moitié du revenu public. Avant 1840, rien n’existait encore à Chicoutimi que la mission et le poste de la Compagnie de la baie d’Hudson, Comme ils le font aujourd’hui encore sur la côte nord, les sauvages venaient chercher là des provisions lors du départ annuel pour la chasse et payaient au retour en peaux de bêtes, ne se faisant pas prier pour donner plus qu’ils ne devaient si la chasse avait été bonne, se croyant quittes en revanche avec les fournisseurs