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avec le Cunctator, et revenir à la guerre d’escarmouches et de surprises. Et pourtant, c’étaient les plébéiens qui avaient raison : pour délivrer l’Italie d’Hannibal, il fallait se mettre à son école, tenter un coup d’audace, et, comme il l’avait fait lui-même, porter la guerre chez l’ennemi. C’est ce que comprit Scipion, lorsqu’il résolut d’aller vaincre les Carthaginois à Carthage. Cette fois, les temps étaient mûrs, les troupes suffisamment aguerries, l’opinion publique unanime, sauf chez les quelques vieillards obstinés qui ne renonçaient pas à leurs vieilles méthodes, l’ennemi épuisé par la longueur de l’effort qu’il avait dû faire, et Rome fut victorieuse. En somme, ce fut la politique de Flaminius et de Varron, les vaincus de Trasimène et de Cannes, qui à la fin l’emporta.


IV

Michelet, entraîné par la rapidité de son récit, n’a pas pris le temps de nous exposer dans son ensemble la constitution romaine. Le plan qu’il avait adopté ne lui permettait guère d’en faire une étude spéciale ; il mentionne les révolutions politiques avec les autres événemens, au moment où elles se produisent, en quelques mots il les juge, et, pour plus de détails, il renvoie à Montesquieu, qu’il cite volontiers. Depuis que son livre a paru, on a beaucoup étudié le jeu compliqué des institutions de Rome et ajouté quelque chose à ce que nous en savions déjà. Je voudrais résumer rapidement l’idée que nous en donne Michelet, quand il est amené à en parler, et ce que nous en apprennent les auteurs plus récens, ou du moins, pour ne pas trop m’étendre, dégager ce qui leur semble en être le principe essentiel.

Les étrangers qui visitent un pays nous renseignent souvent bien mieux sur lui que les gens qui l’ont toujours habité. Ils aperçoivent plus nettement ce qui lui est propre et sont plus frappés des qualités et des défauts qui le distinguent. C’est ce qui donne un prix particulier pour nous aux observations que fit Polybe, pendant son séjour à Rome. Comme c’était un esprit très cultivé, et qui avait étudié, dans les livres d’Aristote, les diverses formes de gouvernement, il crut reconnaître qu’elles étaient mêlées dans la constitution romaine, et que ce mélange en faisait la force et l’originalité. Assurément il ne voulait pas dire que de parti pris, et après beaucoup de réflexions, les hommes d’Etat de Rome, empruntant à des pays monarchiques ou républicains certaines