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Romains supposaient que, dans les temps les plus reculés, avant toute histoire, leur pays était occupé par un peuple qu’ils appellent les Aborigènes, et dont ils ne peuvent dire que le nom. Ces Aborigènes, Michelet les identifie avec les Pélasges. Or, les Pélasges sont des Grecs, les plus anciens de tous, ceux dont on prétend que les autres sont issus ; de sorte que si les Romains, comme les Grecs, descendent des Pélasges, les deux peuples se trouvent avoir un père commun, et voilà d’un coup toutes les ressemblances expliquées. Par malheur, ce n’est encore que la moitié du problème. D’ailleurs, aucun texte formel n’autorise à donner aux Pélasges le rôle que Michelet leur attribue. On a trop abusé d’eux jusqu’ici ; comme ils sont fort mal connus, et que par-là ils se prêtent complaisamment à toutes les conjectures, ils ont servi à combler les lacunes de l’histoire, et on les a mis trop souvent où l’on ne trouvait rien à mettre. Il faut chercher autre chose.

Le problème a été définitivement résolu de nos jours, et c’est à la philologie comparée, cette science que Michelet voyait naître dans le cabinet d’Eugène Burnouf, qu’en revient l’honneur.

Quand les peuples, qui occupèrent autrefois un pays, y ont laissé quelque vestige de la langue qu’ils parlaient, l’étude de ces débris, la comparaison avec les idiomes voisins suffit presque toujours à nous apprendre d’où ils viennent et ce qu’ils étaient. Pour me borner en ce moment à l’Italie, et même à une partie de l’Italie, à celle qui est située vers le centre, des deux côtés de l’Apennin, et qui a formé plus tard les États de l’Église, les savans qui recueillaient les inscriptions qu’on y trouve s’aperçurent que plusieurs sont écrites dans des langues diverses, qui sont évidemment celles des anciens peuples du pays. En ne tenant pas compte de quelques dialectes obscurs, qui ne paraissent être que des patois de village, ils en ont surtout distingué trois : l’ombrien, l’osque et le vieux latin. Après beaucoup de tâtonnemens et d’erreurs, ils sont parvenus à les déchiffrer[1]. Elles sont aujourd’hui parfaitement connues, et, en les rapprochant les unes des autres, on a été amené à faire deux observations importantes. La première, c’est qu’elles diffèrent absolument des autres langues qui se parlaient dans la péninsule, comme le messapique et l’étrusque, et

  1. Parmi les meilleurs ouvriers de cette œuvre difficile et importante, n’oublions pas de mentionner M. Michel Bréal, qui, dans son ouvrage sur les Tables Eugubines, nous a donné une interprétation définitive de cette célèbre inscription et l’a fait suivre d’une grammaire de la langue ombrienne.