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société italienne de cette époque. Mais ce qu’on a peine à imaginer c’est que cet homme d’esprit, qui possédait à ce point le talent de voir et de peindre, ne songea pas un moment à en profiter pour donner un peu plus d’animation à l’histoire qu’il composait. Je ne crois pas qu’il y ait un seul mot, dans son livre, qui puisse rappeler qu’il avait vu de ses yeux les lieux dont il parle. Aussi nous paraît-il aujourd’hui parfaitement ennuyeux.

Avec Michelet on devait s’attendre à autre chose. Il était parti pour l’Italie, convaincu que ce beau pays « voudrait bien dire quelque chose à ce jeune homme qui venait de si loin l’interroger. » A peine y a-t-il mis le pied que l’enchantement commence : « Ah ! cette vieille terre italique, sur quelque point que vous la touchiez, la vie frémissante en jaillit et la jeunesse éternelle ! Si l’on vous redit qu’elle est morte, n’en croyez rien. » Elle a surtout fidèlement conservé les anciens souvenirs, et, à chaque pas qu’il fait, Michelet les y retrouve ; ils assiègent son imagination ; l’histoire le dispute, l’enlève presque à la contemplation de la nature, dont pourtant il est si passionnément épris. Il s’arrache au grand spectacle des Alpes pour ne songer, pendant qu’il les passe, qu’à Hannibal et à Napoléon. Sur les hauteurs de l’Apennin, « cette épine dorsale de l’Italie », il voit des femmes aux formes viriles travailler, comme les Liguriennes d’autrefois, à bâtir des murailles et se croit revenu aux temps antiques. Plus loin, quand il rencontre ces bergers armés qui mènent sur les hauteurs les moutons de la Pouille et les grands bœufs de la campagne romaine, il lui semble les reconnaître, il les a déjà vus chez les historiens antiques. Ce sont les vieux Samnites, « ces pâtres féroces, ennemis des laboureurs de la plaine, adversaires opiniâtres de la grande cité italique, comme les cantons d’Uri et d’Unterwalden l’étaient de Berne ». Lorsque de là il redescend dans les plaines de la Toscane, qu’il traverse les rangées d’oliviers « dont la pâleur virgilienne s’égaie des retombées de la vigne », il ne songe qu’aux anciens Etrusques ; il croit revoir leurs monumens « empreints d’une sensualité mélancolique qui jouit à la hâte et profite des délais de la colère céleste » ; il s’irrite que ce pays ne veuille pas laisser pénétrer davantage les mystères de sa langue et de ses origines : « C’est l’Egypte de l’Occident ; celle de l’Orient, avec ses sphinx énigmatiques, ses hiéroglyphes, est claire à côté. » Mais il est surtout venu pour voir Rome ; c’est elle qu’il visite avec le plus de soin et d’amour, et qui, dans le présent, lui fait le mieux