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mois ; on ne saurait échapper plus longtemps aux échéances fatales. Ici encore, que fera le comte Thun ? A-t-il une solution prête, et laquelle ? N’en a-t-il aucune, ou n’en a-t-il pas d’autre que le recours à l’article 14, c’est-à-dire à l’intervention de l’autorité souveraine, au régime des décrets, à la substitution de la volonté impériale au droit parlementaire ? Nous ne reviendrons pas sur tous les problèmes de politique intérieure, que cette question fait naître : ils ont été exposés récemment dans une autre partie de cette Revue. Peut-être tout le monde s’inclinera-t-il devant la gravité du péril commun ; peut-être aussi quelques personnes profiteront-elles de ce péril pour mettre en avant des exigences plus grandes, ou pour les soutenir d’une manière plus âpre. Tous les partis peuvent trouver des armes dans la bataille qui se prépare. Il serait à désirer que tous les laissassent tomber de leurs mains ; mais est-il permis de l’espérer ? Au-dessus de tous les partis, il y a heureusement en Autriche la haute personnalité du souverain, sans qu’on puisse dire si, dans les circonstances actuelles, c’est François-Joseph qui doit plus à l’institution impériale, ou si c’est l’institution impériale qui doit plus à François-Joseph. De manière ou d’autre, c’est là qu’est probablement la suprême ressource de cette monarchie composite, dont les membres s’accordent si mal entre eux. Nous avons déjà dit qu’on devait célébrer, dans quelques mois, le jubilé de l’Empereur. Il y aura bientôt cinquante ans, François-Joseph est monté sur un trône qui était alors un des plus menacés par la révolution : il s’est raffermi depuis lors. Au milieu des perplexités de l’heure présente, — et c’est là un utile calmant, — il est peu d’Autrichiens qui ne pensent avant tout à la fête qui se prépare et ne soient prêts à sacrifier quelque chose pour qu’elle soit heureuse et tranquille. Ce sentiment très général, où le loyalisme se mêle à la sympathie et au respect, sera-t-il assez fort pour prévaloir contre tant de passions contraires, en effervescence à Vienne, à Pest, à Prague, et qui ont déjà amené sur certains points des désordres inquiétans ? Le comte Thun y compte peut-être, et il y a là, en effet, une force qu’il pourra utiliser. Puisse-t-elle être assez grande pour l’aider à doubler un cap difficile, et pour permettre à l’Autriche, dans l’intérêt de l’Europe comme dans le sien propre, de poursuivre sans trop d’agitation le cours normal de ses destinées !


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.