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le fameux paradoxe de Frédéric Schlegel, qui, dès 1803, dans son journal l’Europe, accusait Raphaël, Titien, le Corrège et Michel-Ange d’avoir inauguré la décadence de l’art italien. Et leur admiration ne va point, comme celle des préraphaélites anglais, aux Botticelli, aux Ghirlandajo, aux Filippino, aux Piero di Cosimo, ces prédécesseurs immédiats ou ces contemporains de Raphaël, qu’il serait temps, en vérité, de ne plus confondre avec les « primitifs ». Steinle, pour ne parler que de lui, ne reconnaît, sa vie durant, qu’un seul maître : Fra Angelico. C’est de lui qu’à Vienne, dans son enfance, il apprend le dessin : « Mon maître Kupelwieser, nous raconte-il dans son Autobiographie, avait rapporté de Rome des copies des fresques du Fiesole, au Vatican : j’employais tous mes instans de loisir à dessiner d’après elles. » A dix-huit ans, quand il passe par Florence, se rendant à Rome auprès d’Overbeck, sa première visite est pour le couvent de Saint-Marc. « J’y ai vu, écrit-il à son père, de magnifiques et sublimes peintures du Fiesole. » C’est à la chapelle de Fra Angelico, au Vatican, qu’il court, dès son arrivée à Rome : « Sublime, sublime, sublime ! J’ai ouvert des yeux énormes et suis resté en extase. C’est plus grand et plus beau que tout ce qu’on peut rêver. » Et, cinquante après, le 25 mars 1877, il répond à un ami qui lui a fait part de ses impressions d’art à Florence : « Combien je vous remercie et combien je vous félicite de votre jugement sur l’art italien ! Oui, je me rappelle encore, comme si je l’avais devant les yeux, cette Salutation angélique de Fra Angelico, peinte sur le mur au premier étage du couvent de Saint-Marc, en face de l’escalier. C’est une œuvre miraculeuse, une des rares œuvres d’art qui expriment vraiment le caractère immaculé de la conception de Notre-Seigneur. Vasari raconte que Michel-Ange, l’ayant vue, lui a dit qu’il était impossible à un homme de peindre une si pure image de la Vierge, et que le maître, pour la peindre, avait dû contempler la Vierge elle-même vivante devant lui. Je ne sais rien qui fasse plus d’honneur à Michel-Ange que ce jugement. Un temps viendra où des yeux des hommes les écailles tomberont, qu’y a mises depuis trois siècles la soi-disant Renaissance. Cette fameuse Renaissance n’a rien été qu’une déchéance de la piété chrétienne, et un abandon de l’ancienne tradition sacrée. Fâcheuse, maudite révolution, qui a eu son point de départ dans le prestige exercé sur l’imagination des jeunes gens par la beauté antique, mais dont je ne puis oublier que des papes eux-mêmes s’en sont rendus les complices ! »

Voilà bien du préraphaélisme, et tel qu’aujourd’hui encore, chez nos jeunes Rose-Croix, on aurait peine à en trouver de plus radical.