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une loi commune ; et cette loi est au-dessus de ceux qui l’appliquent comme de ceux qui la subissent. Il y a plus encore : le droit de l’appliquer un jour, et à leur tour, n’est interdit à aucun de ceux qui commencent par la subir ; et en même temps qu’une école d’égalité l’armée devient ainsi une école de discipline et de hiérarchie. Car il ne faut pas croire que les démocraties répugnent d’elles-mêmes, comme on le dit, à toute discipline et toute hiérarchie ; elles en savent la nécessité ; et c’est un pur sophisme que d’interpréter « l’égalité des conditions » par « l’identité des emplois ». On pourrait même dire que « l’égalité des conditions » ne répugne à aucune espèce de distinction ou d’inégalité, pourvu que cette inégalité soit en quelque sorte acquise, et cette distinction « personnelle ». Il n’a jamais paru « inégal » à la démocratie que l’un fût colonel et l’autre caporal : elle exige seulement que ce ne soit pas une « condition », et que personne ne soit caporal à perpétuité, ni, comme jadis, colonel en naissant.

Si tel est bien le principe de notre armée nationale, nous avons donc le droit de redire qu’ici encore, ce n’est pas la démocratie qui est l’ennemi, c’est l’individualisme et c’est l’anarchie. Il nous reste à montrer, en considérant maintenant le cas de quelques « intellectuels » que c’est eux qui, — sans le savoir peut-être, et certainement sans le vouloir, — sont les pires ennemis de la démocratie elle-même et de l’armée.

iii. — de quelques intellectuels

Qu’est-ce donc qu’un « intellectuel » ; à quel signe se reconnaît-il ; et d’où, de quelle conception de la vie tire-t-il la supériorité qu’il s’arroge sur tous ceux qu’il n’honore pas de ce nom ? Je ne parle pas des romantiques attardés, disciples de Renan, de Flaubert, et de Nietzsche, qui écrivent dans leurs Revues : « Si le génie et la vertu, après tout, étaient incompatibles, il ne faudrait pas hésiter un instant à donner le pas au génie. L’intelligence marche la première : le reste suit, à une distance honnête. » Je les crois jeunes, s’ils pensent « vieux » ; et la vie les fera changer d’opinion sur ce point ! Mais un excellent paléographe, un linguiste ou un métricien éminens, un chimiste consommé, sont-ils des « intellectuels » ; et pourquoi ? La possession du syriaque ou celle du chinois confère-t-elle à un pauvre homme le titre d’« intellectuel » ? et comment prouve-t-on qu’un Traité de microbiologie,