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Jacques Vignot. Ce type n’est point un type idéal, mais matériel ; il existe ou il a existé… Autour de ce type, moral ou immoral, élégant ou ridicule, il groupe d’autres types secondaires, mais vivans, mais animés comme le type principal. Ces types, c’est le cercle tracé avec le compas de l’intelligence dans la société où nous vivons… Ce point trouvé, Alexandre commence par la scène qui lui paraît la plus comique ou la plus intéressante ; le reste viendra après. Et le reste vient. Mais c’est là où est le labeur. Dix fois, il respire, et croit avoir fini. Dix fois, il s’aperçoit que le travail est incomplet et recommence. Il refait des actes tout entiers, et les change de place. Il enlève des personnages, qu’il avait crus d’abord indispensables à son action, ou il en met de nouveaux, qu’il avait jugés inutiles, et auxquels il n’avait pas songé… N’ayant pas tout trouvé d’abord, il lui reste toujours quelque chose à trouver. »

Et l’auteur du Demi-Monde lui-même ne fait que corroborer ces détails fournis par son père, quand il reconnaît écrire toujours ses pièces « comme si les personnages étaient vivans » ; grâce à quoi, il obtient, prétend-il, des « dessous d’une grande fermeté », auxquels il suffit d’ajouter ensuite « quelques glacis, quelques lumières, pour que la chose soit au point ». Et, par-là, s’explique le jugement que formulait sur son compte, en 1858, J.-J. Weiss, et que nous considérerions volontiers aujourd’hui comme parfaitement paradoxal : « Une œuvre théâtrale, affirme le critique, n’est point aux yeux de M. Dumas fils un tout organique qui se développe en vertu de sa propre loi ; mais une suite arbitraire de tableaux de marionnettes, où l’auteur, ne reconnaissant d’autre règle que son bon plaisir et le besoin du moment, dispose à son gré des acteurs, les prend, les laisse, les ramène, et allègue pour toute raison qu’il tient la ficelle ». L’arrêt peut sembler sévère ; on ne saurait dire qu’il porte à faux, du moment, cela va de soi, où l’on fait abstraction des œuvres postérieures à celles étudiées par J.-J. Weiss ; en somme, celui-ci a raison, et il a raison encore, lorsque, en termes assez durs, il refuse à l’écrivain qu’il commente les qualités par où doivent se compenser d’ordinaire les négligences de la composition : « M. Dumas, dit-il, échoue dans ce qui relève de l’observation exclusive ; il regarde mal ; il manque d’attention ; il arrange la réalité ou il la dérange ; il ne voit point les objets à leur taille ni dans leur jour ; il ne sait point juger. » Atténuez ce qu’il y a d’excessif en cette série