Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légale : « Avant tout, une femme ne doit pas tromper son mari, voilà la première loi de la société… Nul ne saurait fonder rien de certain et de stable sur une convention du cœur à laquelle aucune institution sociale n’offre de garantie et qui les a toutes pour adversaires… Les amours illégitimes se brisent tôt ou tard contre une impossibilité, à moins que l’homme et la femme n’aient de cœur ni l’un ni l’autre. » Comme preuve et comme sanction de ces justes, mais durs axiomes, nous aurons, au dernier chapitre, l’agonie et la mort de la duchesse : le censeur le plus scrupuleux ne pouvait rien objecter contre la moralité d’un tel dénouement.

Et ce n’est pas fini d’ailleurs, et il nous faut arriver au troisième avatar de cette affaire d’adultère à la fois triple et une, il faut lire le drame de Diane de Lys, pour mesurer à quel point s’est assagi en quelques années le romantisme de la première heure. Désormais, plus d’atténuations, plus d’excuses, non seulement dans le fait de l’oisiveté ou de l’ennui, mais même dans le fait de la passion la plus sincère et la plus profonde. Le droit supérieur du mari s’affirme sec et tranchant comme un article du Code : « Un duel ! répond le peu sympathique comte de Lys à Paul Aubry qu’il vient de surprendre auprès de la comtesse, un duel, monsieur ! Vieux moyen, et, qui pis est, moyen bête. Je ne vous connais pas ; vous avez pénétré chez moi pour un rapt ; à quoi bon me battre avec vous quand j’ai le droit de vous tuer ?… Il est possible que la société soit mal faite, qu’on ait eu tort de nous marier, madame et moi ; mais ce dont je suis sûr, c’est que je suis le mari de madame, que je la garde, et que rien, absolument rien au monde ne peut m’en empêcher, parce qu’elle est ma femme : voilà pour le présent. Quant à l’avenir,… si jamais je vous retrouve auprès de madame dans les conditions où je viens de vous trouver, je vous donne ma parole d’honneur que j’use du droit que la loi m’accorde, et que je vous tue. » Et le comte, au dernier acte, exécute sa menace, à l’abri de ce simple argument péremptoire : « Cet homme était l’amant de ma femme ; je me suis fait justice ; je l’ai tué. » Si l’on considère que le roman de la Vie à vingt ans, qui parut l’année suivante, n’est plus, en dépit d’un couplet sentimental sur la courtisane, qu’une virulente attaque contre toute possibilité de bonheur et d’amour « en dehors de la légalité du cœur », on n’a point de peine à discerner que nous touchons ici à une « une seconde manière » de l’auteur, seconde