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fait aucun voyage, qui, pour une raison quelconque, manque le départ de ses congénères, renonce à émigrer. C’est ainsi que les bécasses blessées, hors d’état par suite d’entreprendre un long voyage, se résignent à vivre cantonnées dans notre pays jusqu’à l’année suivante. La même remarque a été faite pour des vanneaux, des courlis, des cigognes ou des hirondelles retenus en captivité à l’époque du départ de leurs congénères. Quelques-uns de ces oiseaux supportent les rigueurs du climat ; d’autres, les hirondelles notamment, succombent.

Ainsi donc, c’est par une sorte de tradition que les oiseaux migrateurs se transmettent, de génération en génération, l’indication des voies aériennes à suivre. Ces voies, une fois tracées, sont immuables.

L’itinéraire des cailles qui arrivent d’Afrique en Provence, ou des bécasses qui viennent atterrir à Jersey, est bien connu des paysans qui les capturent par milliers. Il suffirait aux pauvres oiseaux, pour déjouer leurs ennemis, de déplacer de quelques kilomètres seulement leur itinéraire. Mais ils ne le peuvent pas : ils sont fatalement liés à cette route aérienne suivie dans le précédent voyage et ne peuvent s’en écarter sans se perdre.

De même que les autres animaux, les poissons sont cantonnés. Certains d’entre eux ont, comme les oiseaux migrateurs, deux ou trois domaines qu’ils occupent successivement. Pour se rendre de l’un à l’autre, ils émigrent en masse et suivent des routes dont le tracé est assujetti aux règles que nous avons exposées pour les migrations des oiseaux. La guerre acharnée que leur font les pêcheurs au courant de leurs habitudes ne les a jamais décidés à changer d’itinéraire.

Notre théorie sur l’orientation semble donc applicable aux animaux de toutes les espèces : elle permet de coordonner et d’expliquer d’une façon satisfaisante une quantité de faits observés et connus depuis longtemps.


V

Nous avons démontré que le jeu combiné des cinq sens, dont la portée est limitée, ne pouvait suffire à expliquer les actes d’orientation lointaine. Celle-ci est commandée par un organe distinct que nous avons appelé le sens de direction. Ce sens a son siège dans les canaux semi-circulaires de l’oreille : de nombreuses