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de fer par laquelle il est arrivé. Nous n’en voulons d’autre preuve que le fait suivant.

Dans la saison des concours colombophiles, les habitans de Bapaume constatent chaque dimanche le passage des nombreuses bandes de pigeons regagnant leurs colombiers dans le Nord de la France ou en Belgique. On ne peut admettre que Bapaume soit précisément placé sur la ligne droite qui relie les divers points de lâchers aux colombiers éparpillés dans toute la région du Nord de Dunkerque à Mézières. Ce n’est pas non plus le hasard qui fait passer chaque dimanche des milliers de pigeons au-dessus de la petite ville ; Bapaume n’est qu’un point insignifiant dans la zone très étendue qui sépare la Belgique du centre de la France. Il résulte d’ailleurs d’observations analogues faites à Amiens, Arras et sur tout le parcours de la ligne de Paris à Bruxelles que les pigeons reprennent en sens inverse l’itinéraire par lequel on les a amenés au point du lâcher.

Nous pourrions citer une quantité d’observations du même genre. C’est ainsi que des employés du chemin de fer d’Orléans nous ont signalé bien des fois le passage à Arthenay, Etampes, Juvisy, des pigeons belges lâchés à Poitiers, Angoulême et Bordeaux.

Nous avons déduit de ces faits l’hypothèse suivante, que nous appellerons la loi du contre-pied : « L’instinct d’orientation lointaine est la faculté que possèdent à des degrés différens tous les animaux de reprendre le contre-pied d’un chemin parcouru. »


IV

On emploie souvent dans l’étude des mathématiques une méthode qui consiste à considérer comme démontrée une proposition présentée sous forme de problème et à en envisager les conséquences. Nous allons agir de même : admettons que la loi hypothétique énoncée ci-dessus soit suffisamment vérifiée et servons-nous-en pour expliquer quelques faits, inexplicables par tout autre moyen. Assistons par la pensée à un lâcher de pigeons. Plusieurs centaines d’animaux provenant des colombiers d’une même région sont mis en liberté à la fois. Ils parlent ensemble, se fractionnent pour voyager en deux ou trois groupes ; puis, de qu’ils atteignent l’horizon connu, se dispersent : chacun d’eux regagne alors directement sa demeure.