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Nous nous sommes proposé d’étudier le mécanisme de l’orientation chez les animaux. Nous avons choisi comme principal sujet d’étude le pigeon voyageur. Un grand nombre de faits observés par nous pour la première fois ont été groupés et classés. Nous en avons déduit, sinon la loi qui les régit, du moins une théorie qui les explique. Nous allons exposer cette théorie, dont toutes les propositions ont été fondées sur des faits rigoureusement et scrupuleusement constatés, ou sur des expériences faciles à reproduire.


I

De même que des faits en apparence fortuits, tels que la répartition des balles sur une cible, sont assujettis à des lois dont la science nous donne le secret, de même nous pensons que le hasard n’est pour rien dans le vol capricieux de l’oiseau ou dans la course vagabonde de la bête sauvage.

Le mobile qui détermine les actions de l’animal est l’instinct de conservation de l’individu et de l’espèce. L’animal est capable d’activité spontanée quand il est stimulé par le besoin : il est très rare qu’il accomplisse un acte qui n’ait pas un but utile immédiat. L’initiative[1] n’est pas son fait, et quand, chez les fourmis ou les abeilles, on croit trouver la préoccupation de l’avenir, on s’aperçoit bientôt que la prétendue prévoyance des unes et des autres n’est autre chose que l’obéissance à l’appel momentané de l’instinct ; l’animal accomplit un acte sans en pénétrer le but.

La recherche de la nourriture et le repos sont les deux pôles entre lesquels gravite presque constamment l’existence de l’animal ; si l’exploitation des ressources de son domaine l’oblige à varier chaque jour son itinéraire, le besoin périodique du repos le ramène constamment dans les mêmes parages. Le manque d’initiative le porte à suivre toujours le même chemin pour se rendre au même point. Voilà pourquoi l’animal trace sur son domaine une multitude de pistes qui s’enchevêtrent en tous sens ; il acquiert de la sorte une connaissance locale très complète : sur le terrain dont le moindre accident lui est familier, il est apte à se mouvoir dans toutes les directions.

  1. L’animal est routinier par nature ; surpris par le chasseur, il n’improvise pas un plan de fuite, il se sert des pistes précédemment pratiquées.