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campagne, mais ne s’occupent pas d’agriculture. Des concessions de terres et des ventes ont été faites, en petit nombre, au milieu du siècle, à des particuliers ; ceux-ci ont délaissé complètement ces domaines ou les ont loués à des moujiks, sans s’en occuper davantage ; l’étendue totale, même en y joignant les biens « le mainmorte, en est, du reste, relativement insignifiante, et toute la terre, ou peu s’en faut, est aux mains de l’Etat, ou des petits cultivateurs, qui sont eux-mêmes considérés, non comme propriétaires, mais comme usufruitiers de la couronne.

Ces paysans vivent presque tous, comme en Russie, dans des villages ou des hameaux ; les maisons isolées sont très rares, l’agglomération étant une conséquence à peu près forcée du système de la propriété communale collective qui prévaut presque partout dans les domaines du Tsar. Un village sibérien, comme on peut s’y attendre, ressemble fort à un village russe : de chaque côté de la route se succèdent, en longues files de plusieurs centaines de mètres, les maisons noires en bois, séparées les unes des autres par des cours où se trouvent des étables et un ou deux hangars et sur lesquelles ouvrent les portes des habitations. Sur la teinte sombre et triste des façades en poutres non équarries et des palissades en planches des cours, tranchent seulement les boiseries saillantes, le plus souvent peintes en blanc, des petites fenêtres et, parfois, le ton frais d’une isba neuve que les intempéries d’une ou de deux années ne tarderont pas à rendre semblable à ses voisines. Ce morne ensemble n’est réellement égayé que dans les bourgades de quelque importance, que l’absence de rues latérales fait s’allonger démesurément sur plusieurs kilomètres, mais qui possèdent une église de briques aux coupoles vert clair, aux murs recouverts d’un crépi éblouissant. Les chapelles de la plupart des villages ne sont pas si imposantes et une croix seulement distingue des autres isbas ces pauvres lieux de prière où, de loin en loin, un pope vient dire une messe.

Tout cela a l’air rude, plus rude encore qu’en Russie d’Europe, peut-être à cause de ces maisons, qui ne sont plus en planches, mais en poutres brutes, à la façon des log-houses du Far-West américain, peut-être à cause de l’aspect sauvage des animaux qui errent sur la route, des chiens à mine de loups, des porcs noirs qui ressemblent à des sangliers. Et cependant le paysan sibérien a plus d’aisance, je crois, que le paysan russe ; ses isbas sont plus spacieuses et je n’ai pas aperçu à l’est de l’Oural de misérables