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avoir appris à parler très bien le russe, et semblait apprécier médiocrement sa nouvelle résidence ; son buffet se distinguait, par un certain goût dans l’arrangement, de ceux que j’ai vus aux autres stations, quoiqu’ils fussent tous assez proprement tenus. Un peu plus loin, dans une grande ville cette fois, à Tomsk, j’ai rencontré une autre Française dans une librairie dont l’enseigne portait « Frantzouskyi Magazine », magasin français. J’ai trouvé de même dans presque toutes les villes de la grande route de poste : à Irkoutsk, à Blagoviestchensk, à Khabarovsk, à Vladivostok quelques-uns de nos compatriotes, établis là parfois depuis trente ans et exerçant les métiers les plus variés, avec une préférence marquée pour celui de photographe.

Aujourd’hui que la Sibérie commence à s’ouvrir et que le moment est proche où le chemin de fer permettra d’en exploiter les ressources, les étrangers s’y font voir en plus grand nombre, et plus d’un ingénieur est déjà venu y étudier l’importance des gisemens miniers. Mais dût-il se trouver à l’avenir dans ce pays quelques hommes spéciaux d’origine étrangère dirigeant des établissemens, cela ne saurait altérer le caractère véritable de colonisation de l’Asie russe, qui est d’être une œuvre essentiellement nationale pour laquelle le concours d’autres peuples n’a été ni recherché ni offert.


III

Au point de vue ethnique, comme au point de vue géographique, la Sibérie est un prolongement de la Russie d’Europe, on pourrait même dire de la Grande-Russie. Il y a bien quelques élémens hétérogènes, introduits le plus souvent malgré eux, des Polonais, des Allemands des provinces baltiques, descendans d’exilés ou exilés eux-mêmes : aussi trouve-t-on dans chacune des trois ou quatre grandes villes, à Omsk, à Tomsk, à Krasnoiarsk, à Irkoutsk, des églises catholiques et luthériennes. On rencontre des synagogues même dans les villes secondaires, et, jusque dans les villages, Israël a ses représentans ; la petite ville de Kaïnsk, entre Omsk et l’Obi, a mérité par la quantité de Juifs qui y habitent le nom de Jérusalem de la Sibérie. Enfin, l’on compte certainement plus de cent mille raskolniks, adhérens des diverses sectes dont l’origine remonte à la réforme de la liturgie orthodoxe