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semblent condamnés à rester éternellement stériles. La partie susceptible d’être exploitée n’en est pas moins encore très étendue, mais se compose, dans l’Asie russe comme dans l’Amérique britannique, d’un ruban de terre, de 5 000 à 6 000 kilomètres de longueur sur 400 à 500 de largeur au maximum.

Si la Sibérie ressemble au Canada, il faut avouer que c’est plutôt en laid. D’abord, elle est plus septentrionale : le point le plus rapproché de l’Equateur auquel descende sa frontière se trouve bien à 43 degrés, c’est-à-dire à peine plus haut que l’extrême sud du Haut-Canada, mais elle n’atteint ce point que sur les bords du Pacifique, à l’extrémité la plus éloignée de la Russie d’Europe, alors que c’est la partie de l’Amérique britannique la plus rapprochée de l’Angleterre, celle qui est baignée par l’Atlantique, le Saint-Laurent et les grands lacs, qui se trouve sous les latitudes les plus basses. Au contraire, dans toute la moitié de la Sibérie la plus voisine de la Russie, la présence des steppes arides et des montagnes dans le sud a forcément reporté les centres de colonisation entre le 54e et le 57e degré de latitude ; plus loin, ils s’abaissent un peu, mais en restant toujours de plusieurs degrés plus au nord que ceux de l’ouest canadien. En outre, tandis que les côtes américaines du Pacifique jouissent d’un climat beaucoup plus doux que les contrées situées sur l’autre versant des montagnes Rocheuses, les régions sibériennes qui s’inclinent vers le Grand Océan sont tout aussi froides que le reste du pays ; les hauteurs qui séparent le bassin de l’Amour de celui de la Lena sont trop peu élevées pour opposer une barrière efficace aux vents glacés du nord, et l’archipel japonais s’interpose entre le littoral et les eaux chaudes du courant noir qui joue dans le Pacifique un rôle analogue à celui du Gulf-Stream dans l’Atlantique. Aussi le climat de la Transbaïkalie, où prennent leur source les rivières qui, par leur réunion, forment l’Amour, est-il un des plus rigoureux de la Sibérie, et la mer gèle-t-elle pendant trois mois dans le port de Vladivostok, à la latitude de Marseille, alors qu’en face, sur la côte américaine, à sept degrés plus au nord, les hivers de Vancouver sont aussi doux que ceux de la Hollande ou de l’ouest de l’Allemagne.

Pour froide qu’elle soit, la Sibérie n’est cependant pas entièrement inhabitable ; il s’en faut même de beaucoup et, jusque sur les bords de l’océan Glacial, l’humanité est représentée par quelques indigènes de tribus polaires, errant dans leurs traîneaux