Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Béville, qui ne s’habituait pas, après sa participation au Deux décembre, à ne pas être un des premiers personnages de l’Etat. Il poursuivait de ses sarcasmes pessimistes ceux qu’il considérait comme des usurpateurs de la prééminence à laquelle il avait droit. « L’opération, telle qu’elle a été entreprise contre Sébastopol, mandait-il, n’aboutira pas. Chaque effort tenté dans le même sens n’amènera fatalement que des déceptions, et peut-être des ruines. » Pélissier secondait ses menées par son affectation à répondre à peine aux télégrammes impératifs de Paris. La légende raconte qu’impatienté de son silence, le ministre lui télégraphia : « Que répond le général en chef ? » A quoi il aurait riposté : « Le général en chef répond qu’on l’embête… » « Quoique j’aie beaucoup de patience, écrivait l’Empereur à Vaillant, je sens qu’elle sera bientôt à bout ; faites-lui comprendre que son intérêt est d’agir autrement (20 juin). » Le 3 juillet, décidément irrité, il écrit à Vaillant : « . le vous prie d’envoyer cette lettre telle qu’elle est à Pélissier. Sans doute elle est vive, mais je ne puis balancer entre l’avenir de l’armée, le succès de ma politique et un homme. Tout ce que je dis est littéralement vrai. »

Voici la lettre que le maréchal était chargé de transmettre : « Ma patience est à bout, et je ne puis tolérer plus longtemps que mes ordres soient méconnus ; la vie de mes soldats sacrifiée en pure perte ; et la vérité altérée par des récits ou ajournée par le silence. Je vous avais dit que, si vous vous acharniez au siège, vous y perdriez sans résultat vos meilleurs soldats : c’est ce qui est arrivé. Je vous ai défendu de persévérer dans ce système d’obstination, vous n’en avez tenu aucun compte. Vous avez opposé aux raisons que je vous ai données des raisons sans valeur. Lorsque je vous ai fait demander quels étaient vos plans, vous avez répondu par des phrases banales comme celle-ci : Tenir l’épée haute devant ceux qui bougent. Je vous ai fait dire à plusieurs reprises d’envoyer par le télégraphe les noms des officiers morts ou blessés, et c’est par la voie publique que j’apprends nos pertes. Votre devoir est d’envoyer au ministre de la Guerre tous les documens qui peuvent faire apprécier les opérations de guerre, et c’est par le gouvernement anglais que les plus importais me parviennent ; c’est par les Anglais que j’ai eu connaissance de la délibération des généraux des armes spéciales pour l’attaque du 18, et je ne saurais me dissimuler que si leur avis avait été suivi, il y aurait eu plus de chances de succès. Voulant