Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réalité, ce n’était pas un siège qui se poursuivait, mais une bataille continue qui se livrait entre deux armées marchant l’une contre l’autre, en remuant de la terre, construisant des batteries, et se disputant la possession du champ clos qui les sépare, comme on se dispute les positions du terrain dans une bataille.

Décidé à ne pas se laisser détourner de ce qu’il considérait comme l’unique chance de succès et de salut, en priant Vaillant de remercier l’Empereur de sa confiance, il avait dit : « J’ai mesuré l’étendue de mes vastes devoirs, mais, pour que je les remplisse longtemps avec succès, il faut que vous demandiez pour moi à l’Empereur la latitude et la liberté d’action indispensables dans les conditions de la guerre actuelle, et nécessaires surtout à la continuation de l’intime alliance des deux pays. » Ainsi mis en règle, sachant que le meilleur moyen d’obtenir la liberté d’action c’est de la prendre, il arrêta avec Raglan les dispositions suivantes, sans consulter ni l’Empereur, ni le ministre de la guerre : 1° On reprendrait l’expédition de Kertsch avec une division française et une division anglaise sous le commandement du général anglais Brown ; 2° on préparerait l’attaque des contre-approches de l’ennemi, l’enlèvement et l’occupation du Mamelon-Vert et du Mont Sapoune ; 3° on procéderait ensuite non à un assaut général, mais à des assauts successifs, préludes de l’assaut général contre le corps de place. « Tout cela est épineux, écrivait Pélissier à Bosquet en lui communiquant ses intentions, mais il est irrévocablement arrêté dans mon esprit de l’entreprendre. » En informant aussi le ministre de la guerre de ce qu’il a résolu, il exprime de nouveau le vœu qu’une latitude suffisante lui soit laissée pour la direction des opérations dans le sens que la succession des événemens lui ferait juger le plus utile.

L’Empereur ne l’entend pas de la sorte ; il veut demeurer maître de diriger les opérations. Il répond à la communication de Pélissier par un télégramme qui condamne l’expédition de Kertsch et prescrit l’investissement (23 mai). Pélissier n’investit pas ; au lieu d’aller chercher les Russes au loin, il ne s’occupe que de les resserrer dans la ville ; il fait partir l’expédition sur Kertsch.

Les deux opérations réussissent : les Russes perdent pied hors de la ville et leurs travaux d’approche sont détruits (23 et 24 mai). Les troupes débarquées à Kertsch s’emparent de la ville ; les