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A l’ouverture de la Conférence de Vienne (15 mars), Buol refusa sèchement d’admettre les plénipotentiaires sardes. Cavour cependant, s’appliquait avec tact à adoucir les hostilités ; il fit dire à Buol que, s’il consentait à la levée des séquestres, il était prêt à rétablir les bons rapports. Attentif à ne pas embarrasser ses alliés, il maintint en principe son droit de paraître à la Conférence, sans s’obstiner à l’exercer. L’ambassadeur de Piémont à Constantinople ayant fait allusion, dans un discours au Sultan, aux événemens de 1848 et 1849, il l’en reprit. Ni Buol, ni François-Joseph ne se laissèrent toucher, et de ce moment, fut fermement arrêtée en eux la volonté de ne pas pousser le traité du 2 décembre jusqu’à la guerre.

La mort de Nicolas avait atterré François-Joseph. Il s’était rendu en personne chez Gortchakof et lui avait exprimé sa profonde douleur de perdre un ami éprouvé au moment où il espérait lui donner des preuves de sa gratitude et de son retour aux anciennes voies. En effet, dans la Conférence, quoique le ressentiment de Gortchakof ne lui rendît pas la tâche facile, Buol s’efforça de faire prévaloir les intérêts de la Russie. On fut vite d’accord sur les deux premiers points : la suppression du protectorat russe dans les Principautés, et la libre navigation du Danube. On cessa de s’entendre sur le troisième, la restriction de la puissance navale de la Russie dans la Mer-Noire. Les deux ministres des Affaires étrangères, John Russell et Drouyn de Lhuys, furent envoyés à Vienne afin de faciliter l’accord.

Le choix était entre deux combinaisons : déclarer la Mer-Noire neutre et en exclure toutes forces militaires quelconques, excepté celles de police ; ou limiter le nombre des navires que, soit la Turquie, soit la Russie, soit les puissances européennes, pourraient y entretenir. Le système efficace était celui de la neutralisation. Buol le repousse parce que la Russie ne s’y résignerait pas, et il patronne la limitation des forces navales, mais d’une façon vraiment divertissante : la limitation consistera non à diminuer les forces de la Russie au début de la guerre en 1853, mais à lui interdire de les augmenter. Ainsi on se serait égorgé depuis tant de mois et on continuerait à le faire pour assurer à la Russie, par un arrangement international, l’état militaire naval dont elle jouissait avant la guerre !

Pour amener les deux ministres à cet arrangement, Buol les joue comme de véritables novices. Il était certain de l’assentiment