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dit-il à Gramont ; je ne suis pour rien dans ces hésitations, et ces conditions, je les trouve stupides[1]. Si nous y allions franchement et promptement, nous y gagnerions bien davantage. Quant à moi, je suis d’avis qu’il faut s’allier de toute confiance, sans restrictions ni réserves, ou ne pas s’allier du tout. L’Empereur et moi, nous avons échangé des assurances d’amitié formelles, il a ma parole, j’ai la sienne, nous sommes incapables de nous tromper, et cela me suffit. Si nous sommes battus en Crimée, nous nous en tirerons toujours, et si nous sommes vainqueurs, eh bien ! cela vaudra mieux pour les Lombards que tous les articles qu’ils veulent joindre au traité. »

Le Roi, toutefois, eût été embarrassé constitutionnellement si Cavour n’eût pas été de son avis. Mais, le premier ministre et lui pensant de même, l’embarras ne devait pas être long. Après des débats puérils et aigres sur des notes, contre-notes, protocoles, Dabormida donna sa démission, Cavour accepta de le remplacer, et le Roi apposa sa signature (10 et 26 janvier 1855) au traité du 8 avril 1853, conclu entre l’Angleterre et la France. Le Piémont s’engageait à fournir un corps d’armée de 15 000 hommes et l’Angleterre promettait un emprunt de 25 millions.


V

L’Autriche était aussi inquiète des négociations des puissances occidentales avec le Piémont que celui-ci l’avait été du traité avec l’Autriche. Notre ambassadeur à Vienne, qui le savait, en avait prévenu l’Empereur. « Quoi qu’on fasse, écrivait-il, la Sardaigne ne saurait être acceptée ici comme une alliée sincère de l’Autriche. Même réunies au drapeau de la France, les couleurs sardes ne seront jamais, aux yeux des Autrichiens, que des enseignes ennemies. Un traité avec la Sardaigne deviendra un obstacle sérieux au développement complet de l’alliance cimentée par le traité du 2 décembre. » Ces prévisions de Bourqueney se réalisèrent aussitôt. Aucun rapprochement ne s’opéra entre les nouveaux alliés. Malgré l’autorité que lui donnaient ses sympathies bien connues en faveur de l’Autriche, Bourqueney n’obtint rien.

  1. Le Roi n’a pas voulu dire que ces conditions fussent stupides, car elles étaient raisonnables en elles-mêmes, et il les avait approuvées. Il les trouvait stupides comme préalable sine qua non d’une alliance qui procurerait des avantages bien plus considérables, et, par-dessus le marché, la levée des séquestres.