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ou à raison, au nombre de ces choses. A côté de la popularité de l’un, et pour y faire contrepoids, il y a la confiance que l’autre inspire. Lord Salisbury ne commettra jamais une faute lourde, une imprudence irréparable : on n’a pas généralement la même opinion de M. Chamberlain ; on n’éprouve pas avec lui la même sécurité. Aussi le contraste entre les deux hommes s’établit-il invinciblement dans l’esprit des Anglais, qui les voient de plus près que nous. Ils ont comparé, par exemple, le discours sage et mesuré de lord Salisbury à l’ouverture du Parlement avec les discours sensationnels de M. Chamberlain. L’approbation donnée au premier de ces discours a pris la forme discrète d’une désapprobation infligée aux autres. Et naturellement M. Chamberlain, recourant aux procédés qui lui ont si bien réussi jusqu’à présent, en a usé avec moins de retenue encore. C’est peut-être à cela que nous avons dû, au moins pour une certaine part, l’extraordinaire avalanche d’accusations et de soupçons dont nous avons été presque écrasés ces derniers jours.

Le 18 février, M. Chamberlain a été interrogé à la Chambre des communes. Sir Charles Dilke lui a demandé s’il était vrai qu’un commandant anglais aurait été sommé par un général français de baisser le drapeau britannique hissé dans un des principaux avant-postes, et qu’il s’y serait refusé. Un général français ! rien que cela : si nous avions encore des maréchaux, sir Charles aurait probablement parlé d’un maréchal. L’anxiété de la Chambre était telle que la réponse du ministre des Colonies a été écoutée dans un silence solennel. M. Chamberlain a tiré un télégramme, et même deux de sa poche : encore un procédé peu usité en Angleterre, et qui, en France où il l’est davantage, a généralement produit d’assez fâcheux résultats. Le télégramme arrivé trop juste à point produit toujours un effet dramatique dans une discussion parlementaire. Au reste, ceux de M. Chamberlain ne signifiaient pas grand’chose, et ne méritaient pas cette mise en scène. Autant qu’on peut les comprendre, il s’agit de deux affaires qui sont en quelque sorte la contre-partie l’une de l’autre. Une première fois, Boréa est occupé par des Haoussas, force anglaise. Arrivent trente Sénégalais, troupe française. Les Français somment les Anglais de baisser leur pavillon ; ceux-ci refusent, et alors les Français, après avoir dressé un procès-verbal, se retirent à trois milles de là, où ils campent très philosophiquement. Une seconde fois, ce sont les Français qui ont établi les premiers un poste sur un territoire contesté. Les Anglais arrivent et les somment d’avoir à vider les lieux. Les Français refusent ; on dresse encore un procès-verbal ; et alors,