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à travers le monde, au-delà des continens et des mers, pour étendre l’hégémonie britannique à des territoires nouveaux, et pour consolider entre eux les membres épars de ce colosse sans cesse grandissant. Ce serait une belle œuvre si elle était menée avec plus de prudence, et aussi avec un peu plus de ménagemens pour les droits d’autrui. Les Anglais de vieille roche ne laissent pas d’en être un peu effrayés. L’un d’eux, sir William Harcourt, leader de l’opposition libérale à la Chambre des communes, dans un discours qu’il vient de prononcer à Bury, s’est servi d’une comparaison que nous n’aurions pas osé nous permettre nous-même, mais qui montre bien ce qu’on pense de M. Chamberlain dans certains milieux. Parlant des gens étourdis et téméraires qui voudraient livrer bataille au monde entier : « Parmi eux, a-t-il dit, nul n’est plus redoutable que M. Chamberlain ; il ressemble à Phaéton qui, ayant obtenu la conduite du char du soleil pendant un jour, mit l’univers en feu. » On ne s’étonnerait pas d’entendre le leader de l’opposition parler ainsi d’un ministre, si l’orateur appliquait le même reproche au gouvernement tout entier ; mais, au contraire, il investit subitement lord Salisbury de sa confiance, et c’est là un spectacle peu commun. « Lord Salisbury, dit-il, se rend parfaitement compte de la nature des périls qui entourent la Grande-Bretagne, et il mérite la sympathie et l’appui du parti libéral. Il comprend l’inconvénient des bravades vulgaires, des jalousies mesquines indignes d’un antique royaume. Il a adressé des avertissemens aux gens dangereux qui siègent du même côté que lui, et surtout à côté de lui. » Y a-t-il là, de la part de sir William Harcourt, le simple désir de mettre un ministre en opposition avec un autre, et d’introduire la discorde dans le camp ennemi ? Non ; le sentiment qui l’inspire est plus sérieux. Ses craintes sont partagées par beaucoup de personnes, soit parmi les conservateurs, soit parmi les libéraux, et il faut qu’elles soient bien vives chez lui pour l’avoir amené à faire cette démonstration insolite en faveur du chef même du parti qu’il combat. Est-il vrai que lord Salisbury ait adressé des observations à M. Chamberlain ? Naturellement, il ne l’a pas fait en public, de sorte que personne ne peut l’affirmer avec preuves à l’appui. Dans leurs discours, lord Salisbury et M. Chamberlain ont au contraire échangé constamment des témoignages de bonne entente réciproque ; peut-être le feront-ils encore demain ; mais il y a, dans tous les pays, des choses que tout le monde sait et que tout le monde persiste à croire malgré les démentis officiels, et, en Angleterre, l’antagonisme latent de lord Salisbury et de M. Chamberlain est, à tort