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sommes aujourd’hui, on est surpris du chemin parcouru, et effrayé des passions qui ont été soulevées en route : campagne condamnée d’avance à rester impuissante, et qui a été poursuivie par des procédés inavouables. C’est, à n’en pas douter, ce qui a l’autre jour inspiré l’éloquente parole de M. le président du Conseil, et assuré au ministère la plus imposante majorité qu’il eût encore obtenue.


Les rapports de l’Espagne et des États-Unis ne se sont malheureusement pas améliorés depuis quelques semaines, et ce n’est peut-être la faute de personne. On dirait qu’une fatalité malencontreuse s’en est mêlée. La situation, à Cuba même, ne s’est pas sensiblement modifiée. Il ne semble pas que les réformes autonomistes du ministère Sagasta aient produit, au moins jusqu’à ce jour, toutes les conséquences qu’on en attendait : il faut d’ailleurs un certain temps, même lorsque l’orage a cessé, pour permettre à la mer démontée de reprendre son équilibre et son niveau. Quoi qu’il en soit, l’insurrection continue. Le gouvernement autonome de Cuba est lui-même divisé : deux partis s’y sont déjà dessinés, et, s’il en est ainsi à un moment où le danger est encore si apparent, on peut prévoir ce qu’il en sera dans l’avenir. L’Espagne se montre héroïque dans sa résolution de consacrer toutes ses ressources à réprimer l’insurrection. Rien ne l’abat, ni ne la décourage. Elle vient d’envoyer à la Havane des renforts assez considérables. Dans peu de mois commencera la saison des pluies : le maréchal Blanco a donné l’ordre de se préparer à faire auparavant un effort énergique. Il est, en effet, dès aujourd’hui certain qu’on ne viendra pas à bout des rebelles uniquement avec des pourparlers et des concessions.

C’est sur ces entrefaites que se sont produits deux incidens très fâcheux, la publication d’une lettre de M. Dupuy de Lôme, et l’explosion du croiseur américain le Maine dans les eaux de la Havane.

M. Dupuy de Lôme était ministre d’Espagne à Washington. Ce diplomate a eu le tort de trop croire à la discrétion de la poste américaine, et il a écrit une lettre toute personnelle et privée à un de ses amis, M. Canaléjas, ancien ministre espagnol du parti libéral, envoyé aux États-Unis pour y remplir une mission de confiance. Il s’est laissé aller dans cette lettre à une expression un peu trop familière de ses sentimens, et, pour mettre tout de suite M. Canaléjas au fait des choses et des hommes avec lesquels il devait se trouver aux prises, il lui a donné avec abondance des renseignemens sur ce qu’il en pensait. Parlant, par exemple, du Président même des États-Unis : « Le message présidentiel, écrivait-il, est mauvais. Sans compter la brutalité