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parts ses frontières. Par les heureux combats de Coatit et de Senafé, il avait mis en déroute les ras du Tigré, accru le prestige italien. On avait manœuvré rapidement dans un pays de montagnes, où les mouvemens ne sont pas faciles, où les routes sont des sentiers ; peu de jours avaient suffi pour étouffer une révolte alarmante et pour détruire une armée bien supérieure en nombre. Le gouvernement colonial avait prouvé qu’il était avisé et résolu ; les officiers s’étaient montrés aussi capables que braves, les soldats aussi endurans que disciplinés.

Le brillant succès remporté par le général Baratieri lui avait valu les félicitations empressées et chaleureuses du gouvernement italien qui, mis en appétit, l’incitait à profiter de sa victoire pour annexer les provinces qu’il occupait.

Qui veut la fin doit vouloir les moyens. Du moment qu’on nourrissait d’ambitieux projets, il fallait se mettre en mesure de les exécuter. Malheur à qui fait la guerre sans l’avoir préparée et sans avoir prévu les accidens possibles, les futurs contingens, les revers de fortune ! Le général démontre par des documens authentiques, par des pièces officielles, qu’il ne s’est pas lassé d’avertir son gouvernement, de lui représenter que l’Abyssinie était à la fois le pays des lenteurs et le pays des surprises, qu’après avoir longtemps couvé, les conspirations y éclatent à l’improviste et se propagent avec une effrayante rapidité, que dans cette Suisse africaine et féodale, plus que partout ailleurs, il importe d’être prêt à tout. Si vives que fussent ses représentations, il ne put déterminer des ministres tout occupés de leurs débats avec leurs Chambres à rien préparer, à rien prévoir.

La petite armée coloniale qui avait fait ses preuves en réprimant une dangereuse révolte se sentait de la bonne éducation qu’elle avait reçue, et qui n’avait pas été l’affaire d’un jour. On avait eu le temps d’instruire et de discipliner les troupes indigènes, et elles avaient rendu de grands services. On savait désormais ce que valent les Ascaris, quand ils joignent à leurs qualités natives l’obéissance militaire et l’esprit de corps. Aussi sobres que durs à la fatigue, une ration de farine suffit pour leur journée. Ils se chargent de pourvoir à leur subsistance dans le pays le plus pauvre, supportent la faim avec indifférence. Leurs bagages se réduisent à peu de chose et ne les embarrassent guère. « Le soldat indigène a l’œil et l’oreille du sauvage ; il a toujours vécu et marché pieds nus sur les rochers, dans les ravins, dans des contrées étranges où tout étonne l’œil de l’Européen. Il s’excite, il s’exalte, mais rien ne le surprend. Il sait tirer parti du terrain pour le combat individuel ; c’est un art qu’il s’enseigne à lui-même, et