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crainte ou la haine des services trop retentissans. Tel était l’homme que Jeanne élevait jusqu’au rôle idéal de représentant de Dieu en France…

Auprès de lui, deux partis se combattaient sans trêve, et, sur les ruines du royaume, se disputaient la faveur du roi. D’une part, la belle-mère de Charles VII, Yolande d’Aragon, femme forte et sensée, douée d’un grand tact politique, et sincèrement dévouée à son débile neveu. C’est elle qui conseilla de recevoir Jeanne et qui, profitant de l’accablement du roi, emporta sa résolution ; elle indiquait l’enthousiasme populaire comme une suprême ressource.

De l’autre côté, les favoris, La Trémoïlle en tête ; celui-ci écartait d’avance tous les princes qui pouvaient l’évincer et le peuple en particulier. Ne croyant pas à la restauration du royaume, il acceptait d’avance la mort de la France, à condition que Charles conservât des lambeaux de province et les gouvernât en s’appuyant sur des troupes de recrue étrangère. Il préparait ce triste avènement par des intrigues souterraines nouées avec les ennemis de son maître. Un prêtre diplomate était étroitement lié à La Trémoïlle : Regnaud de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de France, ancien secrétaire du Pape, âme sèche et sceptique, bassement envieuse de tout ce qui outrepassait ses courtes vues et ses petits calculs, haineux à quiconque sortait des formules et des routines de l’autorité traditionnelle. Puis, — la diplomatie étant la seule arme du Pape, — Regnaud, fidèle à cette routine, continuait de ne connaître au monde autre chose que la diplomatie ; il réussissait par-là à gâter les affaires du roi et à se ridiculiser lui-même. Enfin, Gaucourt, maréchal de la cour et gouverneur d’Orléans, s’ajoutait à cette bande : brave et habile militaire, mais dur, vaniteux et jaloux…

Après le voyage à Poitiers, la déclaration des docteurs et le retour à Chinon, commencèrent les préparatifs d’entrée en campagne. Le jeune duc d’Alençon, devenu dans la suite un des plus zélés partisans de Jeanne, reçut du Dauphin l’ordre d’assembler à Blois une armée avec un convoi de vivres, tous deux destinés à Orléans. Jeanne fut gratifiée d’un équipement et dotée d’un état (un chapelain, un page, deux hérauts, etc.).

Prenant congé du roi, elle lui annonça qu’elle serait blessée devant Orléans, mais sans courir danger de mort, et sans quitter