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assez curieux de voir certains radicaux, qui ne craignent ni Dieu ni diable, se montrer plus intolérans à l’égard des indigènes que le tribunal de l’inquisition. La tradition chrétienne bien comprise nous servirait mieux que la philosophie d’estaminet, car nous avons devant nous des croyans pour lesquels un peuple sans Dieu est une énigme incompréhensible. Du reste, la religion chrétienne a ses racines comme l’Islam dans le sein d’Abraham, et cette communauté d’origine devrait être une cause de rapprochement.

D’autre part, nous apportons dans nos relations quotidiennes avec les vaincus plus de justice et d’humanité, nous soulevons certainement moins de haine que les durs triomphateurs romains. Notre administration est plus probe, plus consciente de sa responsabilité, moins exposée à de coûteux tâtonnemens. Enfin, si l’Islam présente un obstacle invincible à toute tentative d’assimilation, il se prête à des alliances dont la portée dépasse de beaucoup les frontières de la Tunisie ; en sorte que l’œuvre est plus difficile, mais plus intéressante et d’un dessein plus relevé. Là encore on peut dire qu’entre les anciens et nous, les avantages et les inconvéniens se compensent à peu près. La rapidité et la précision font pencher la balance en notre faveur : le temps seul montrera si nous y joignons la persévérance.

Mais, quelque différente que soit la tâche, nous n’en sommes pas moins les héritiers directs des Romains ; et, neuf fois sur dix, nous n’avons qu’à les suivre à la trace, trop heureux si nous faisons seulement aussi bien qu’eux, seulement un peu plus vite : sept siècles, ce serait vraiment long, dans l’âge de la vapeur ; et puis il faut bien que l’expérience acquise serve à quelque chose.

Nous avons déjà emprunté aux anciens la pratique du protectorat. Pour l’organisation des forces militaires, pour la vie municipale, pour le choix des sites et des emplacemens, pour les plantations, surtout pour le régime des eaux, ils ont encore beaucoup à nous apprendre.

Ils trouveront à qui parler. Les « Roumis » d’aujourd’hui continuent les Romains d’autrefois ; et l’instinct des tribus ne se trompe pas en nous désignant ici par le nom des chefs de la grande famille latine. Nous-mêmes, en suivant ces routes foulées jadis par les légions romaines, nous sommes tentés de nous découvrir devant les monumens de leurs travaux et de leur gloire ;