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tout autour de la Babel asiatique, elle est aux prises avec des problèmes auprès desquels les entreprises brutales des croisés ou les combinaisons savantes de l’ancienne diplomatie n’étaient que des jeux d’enfans. Libre de préjugés, cette politique a renoncé depuis longtemps à l’esprit de croisade ; mieux informée, elle commence à comprendre que l’Islam est une force et que cette force peut servir ou nuire, suivant qu’on l’a pour ou contre soi. Il ne lui déplaît donc pas que ses actes soient observés et commentés, surtout en Tunisie, sur un terrain de prédilection où les consciences ni les intérêts n’ont été violentés ni froissés ; terrain d’entente pacifique, de collaboration féconde entre deux formes de civilisation, qui se sont heurtées longtemps faute de se bien connaître. Ce ne sera pas un médiocre honneur pour la France si elle peut sceller, dans cet angle d’Afrique, l’alliance de l’Islam avec l’esprit moderne.


V

Telle est la première des conquêtes de la troisième République, celle qui décidera peut-être de l’avenir colonial de la France. Partout ailleurs nous avons trouvé, dans la nature ou dans les hommes, des obstacles qui laissent la question indécise. L’expérience algérienne elle-même n’est pas concluante. Elle coûte trop cher, elle pèse d’un poids trop lourd sur la métropole, elle est trop artificielle. C’est de la colonisation à tour de bras. D’ailleurs, en Algérie, la terre à prendre est limitée. La Tunisie ouvre ses portes toutes grandes, et ses belles vallées, si peu peuplées, si mollement ondulées, seront les cheminées d’appel par lesquelles un courant d’air vivifiant passera dans la population française. En sollicitant une émigration modérée, bien loin d’appauvrir le sang français, comme on l’a prétendu, elles le stimuleront au contraire ; car, dans le domaine de l’activité pacifique, les races donnent d’autant plus qu’on leur demande davantage.

Abordant à son tour une terre où tant de peuples se sont montrés créateurs, la France, cette petite-fille de Rome, sera-t-elle inférieure à son illustre aïeule ? Comparons les difficultés et les ressources à deux mille ans d’intervalle.

La France moderne a, sur ses devanciers, la supériorité de l’éducation scientifique. Elle a, sur terre et sur mer, la vapeur et l’électricité. Elle agit, dans l’ordre matériel, avec des vues