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piquante, le lentisque ou le jujubier aux longues racines, recouvrant les trois quarts du territoire comme la rouille cache les ciselures d’une arme de prix. C’est la population active rejetée sur les côtes par la pression des nomades.

Cependant, de tout ce passé, deux faits surnagent en Tunisie, deux faits d’une extrême importance pour l’avenir de la colonisation.

D’une part, à travers toutes les agitations du pays, la notion d’une autorité centrale a pu être obscurcie, elle n’a jamais été complètement effacée. Tantôt à Kairouan sous les Aglabites, tantôt à Medhia avec les Fatémides, et plus tard à Tunis même à partir des Hafsides, il y a eu un pouvoir qui s’est fait reconnaître sur une grande partie du territoire ; et s’il se servait d’instrumens rudimentaires, si la perception des impôts à l’intérieur se faisait comme au Maroc, les armes à la main, du moins l’ancienne province romaine d’Afrique n’a-t-elle pas subi cette dislocation complète qui devait nous rendre l’Algérie si difficile à conquérir et à gouverner. Sur la côte, des populations paisibles et façonnées à l’obéissance ont accepté de temps immémorial le joug que le hasard leur imposait. Etait-ce un legs de l’antiquité ? Toujours est-il qu’on trouve à toute époque, dans la population sédentaire de la Tunisie, l’idée qu’il peut y avoir un ordre établi et que cet ordre est respectable. Cette tradition, si vague, si déformée qu’elle fût en passant de main en main, subsistait encore à la fin du XVIIe siècle. Elle permit à la dynastie husseinite, actuellement régnante, d’asseoir sur ce terrain mouvant un pouvoir régulier, et d’ébaucher une administration qui, à plusieurs reprises, n’a manqué ni de lumières ni surtout de bonne volonté. Nous avons profité à notre tour de ces heureuses dispositions.

L’autre fait, bien différent, c’est l’adhésion entière, complète et définitive de la population indigène à l’Islam. Toutes ces races si mêlées, produits d’alluvions successives, berbères, arabes, maures, coulouglis, descendans de spahis turcs ou d’esclaves chrétiens, postérité des « vrais croyans » ou des renégats que, pendant deux ou trois siècles, l’Europe a jetés sur cette côte, tous, à l’exception de quelques milliers de juifs, sortis du même tronc biblique, mais entêtés dans leur croyance, tous se sont rangés sous l’étendard du Prophète ; et tandis que l’ancienne population, de foi vacillante, acceptait sans trop de difficulté la religion du