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elles se répandirent du sud au nord. En un instant tout fut dévoré.

Rien, en effet, ne pouvait être plus funeste au pays qu’un barbare venant du sud. Au lieu de lui opposer son front de mer et de le retenir dans cette contrée florissante qui avait si vite amolli les Vandales, l’ancienne province romaine était attaquée par son sol le moins fertile, par ses cultures les plus fragiles. L’invasion des nomades opère comme un retour offensif des sables du Sahara qui recouvrent et ensevelissent peu à peu l’oasis laborieusement conquise. Qui veut se faire une image exacte du fléau n’a qu’à visiter les oasis mutilées du Nefzaoua. Sur cette limite du Sahara, ce ne sont que sources aveuglées, canaux comblés, palmiers épars, restes lamentables de cultures abandonnées : il fallait lutter à la fois contre la nature et les Touaregs, c’était trop à la fois. De même, dans la Tunisie tout entière, la barbarie des peuples pasteurs a coupé les arbres, comblé les citernes, remplacé la haute prévoyance par la vie au jour le jour : véritable revanche de l’Afrique indomptée sur la culture ; européenne. Cette œuvre de dévastation fut secondée peut-être par les instincts d’anarchie qui sommeillaient dans le sein de la race berbère. Du moins cette race, qui supportait mal la paix romaine, se laissa-t-elle rapidement envelopper dans les liens peu gênans de l’Islam, après un essai de résistance aussi destructif que la conquête elle-même. Depuis lors, elle s’est si bien pliée aux mœurs des vainqueurs qu’elle a perdu peu à peu son histoire propre, puis son nom, puis sa langue, qui ne subsiste que dans les montagnes, les îles ou les déserts.

Il y a eu sans doute, pendant cette longue et confuse période, de glorieux épisodes, des conflits dramatiques, et même quelques tentatives pour implanter sur le sol de la Tunisie la civilisation qui brillait à Bagdad et à Cordoue. Il faut renoncer à rendre l’Islam sommairement responsable des désordres qu’il n’a pas pu prévenir. Les historiens arabes ont été les premiers à déplorer les ravages de l’invasion hilalienne ; et si le tableau qu’ils tracent de la période précédente est probablement flatté, si, plus tard, ils s’étendent avec trop de complaisance sur le règne du khalife El-Mostancer, l’adversaire de saint Louis, il serait cependant puéril de nier l’éclat intermittent des dynasties musulmanes. Une forme de civilisation ne dure pas plus de mille ans sans justifier sa durée par des bienfaits. A Kairouan, le bassin des Aglabites et la Grande