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souterraines se révèlent avec le même cachet de grandeur et de durée. Ce sont d’immenses citernes, hautes comme des cathédrales : parfois tout un village grouille dans les entrailles du monstre ; ou bien, sous la culture sommaire, semée de cailloux et de ronces, la pelle du fellah met au jour le pavé en mosaïque d’une ancienne villa. Une peu d’eau jetée sur cette poussière fait revivre soudain la fraîche corolle des fleurs, le plumage étincelant des oiseaux, le corps glorieux d’un héros,


Toujours prêt à surgir, comme un dieu qui commande,


et ce sourire qui vient du séjour des ombres, cette grâce délicate enfouie sous cette barbarie, font un contraste encore plus poignant que la ruine dressée qui défie le ciel. On pense au vers de Virgile, de ce Virgile dont on vient de retrouver à Sousse la figure authentique, non point affadie par une fausse tradition, mais mâle et toute romaine :


Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.


L’originalité des Romains n’est pas d’avoir profité des dons de la nature là où ils s’offraient d’eux-mêmes : ce qu’ils ont fait dans le nord, sous un ciel assez semblable à celui d’Europe, ne diffère pas sensiblement de la Gaule romaine ou de l’Illyrie ; et d’ailleurs, ils étaient guidés par les traces des Phéniciens, que leur civilisation a recouvertes. C’est au centre et au sud, dans ce qu’on appelait la Byzacène, qu’ils ont été réellement créateurs : là, dit très justement M. Gauckler, « rien n’existait avant eux. Ils ont trouvé un pays désert, ils l’ont transformé en une vaste ferme ; après eux, le désert a reparu. Tout ce pays est à eux, rien qu’à eux ; c’est leur domaine propre »[1].

Et cette colonisation d’un sol réputé stérile repose sur la formule la plus simple : c’est que l’olivier prospère là où le blé meurt, parce que ses racines profondes vont chercher dans le sable la fraîcheur latente. Or l’huile était à peu près le beurre de l’antiquité. Ces immenses espaces vides se sont donc couverts peu à peu d’une forêt continue d’oliviers qui allait sans interruption de Sfax à Tebessa. M. Paul Bourde a démontré le fait dans un opuscule d’une force probante invincible ; et, du même coup, les villes mortes, les moulins abandonnés, les colisées silencieux, tout ce

  1. Paul Gauckler, Notice archéologique sur la Tunisie, histoire et description, t. Ier ; Berger-Levrault, 1896.