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bien « usage externe ». M. Sudermann n’a point voulu se soumettre à l’étiquette ; ses pièces et ses livres ne se ressemblent pas entre eux, diffèrent même du tout au tout, témoignent de recherche constante et d’énergique indépendance. Après ses premières œuvres, la Femme en gris et l’Honneur, on crut voir en lui un peintre de la vie moderne enclin aux thèses sociales ; il dérouta cette opinion en écrivant un roman historique, le Sentier des chats, puis revint au monde actuel dont il s’éloigna dans les Morituri. L’on put croire à ce moment qu’il se trompait de voie, et que l’histoire ancienne ne lui convenait guère : car le petit acte visigoth (Téja) qui figure dans cette espèce de trilogie est certainement ce qu’il nous a donné de moins bon, pour ne rien dire de trop sévère. Mais voici qu’il en faut revenir : son Jean me semble une de ses meilleures œuvres.

Ce n’est point à dire que l’œuvre soit parfaite : elle a les défauts inhérens à son genre. D’abord, ceux du drame historique : mélange fatalement inégal de figures imaginaires aux figures que les siècles ont consacrées ; efforts le plus souvent avortés pour faire parler ces gens selon leurs mœurs mal connues et dans leur style présumé ; recherche souvent puérile de ce qu’on appelait autrefois la « couleur locale », qu’on appelle aujourd’hui la « vérité historique », et qui n’est guère, je le crains, qu’une prétentieuse vanité. Ensuite, Jean possède aussi le défaut du drame religieux : aux prises avec un sujet consacré par la légende et raconté par les Evangiles, le malheureux auteur est obligé d’arranger selon les besoins de sa cause des textes qu’ont fixés, dans leur forme simple et définitive, la pensée, la foi, les prières de dix-huit siècles ; et c’est une ingrate besogne : nous en avons eu maintes preuves dans notre propre langue ; ou bien, il les mélange à son texte à lui, et, quelque talent qu’il ait, ou quelque adresse qu’il y déploie, il leur demeure inférieur ; ou bien, il les modifie ou les paraphrase, et nous trouvons alors que « ce n’est plus cela ». Quand un de nos poètes fait dire à Jésus-Christ :


Laissez venir à moi tous les petits enfans,


ou bien :


Laissez venir à moi les petits enfans blonds,


ce mot unique, introduit dans la phrase divine, nous gâte ses paroles. M. Sudermann s’est heurté quelquefois contre l’un ou l’autre