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attention au caractère religieux, au rôle de prêtre du fondateur de ville, tel que Fustel de Coulanges le fait ressortir[1].

Rappelons d’abord ce qu’est Vesta. Jupiter est né, Vesta est éternelle. Elle est la divinité que chacun de nous sent au fond de lui-même. Elle est présente à chacun de nos actes. Elle est un seul corps dont les Génies, les Lares, les Pénates, les Mânes sont les membres. Ce qui vit et respire en nous, c’est Hestia pour les Grecs, Vesta pour les Romains. Toute la religion est pleine de Vesta. Simple est son culte : le foyer est son temple, le feu est sa forme visible, les herbes et les fruits sont les offrandes à déposer sur son autel. Voilà pourquoi, dans chaque maison, Vesta a sa place sacrée ; soit sur un autel, soit dans une riche chapelle, soit dans la lampe grossière du pauvre, jour et nuit le feu brûlait. — De notre temps, chez les Grecs modernes, chez les Italiens, cet usage se maintient avec persistance. A Sparte, dans la chambre hospitalière où je couchais, la lampe à trois becs brûlait sous l’image de la Panaghia.

Le feu est un dieu : il est le dieu de la famille, il est aussi le dieu de la ville. « Le fondateur était l’homme qui accomplissait l’acte religieux sans lequel une ville ne pouvait pas être. C’était lui qui posait le foyer où devait brûler éternellement le feu sacré ; c’était lui qui, par ses prières et ses rites, appelait les dieux et les fixait pour toujours dans la ville nouvelle. » — « On conçoit le respect qui devait s’attacher à cet homme sacré… On lui vouait un culte, on le croyait dieu, et la ville l’adorait comme sa Providence. Des sacrifices et des fêtes étaient renouvelés chaque année sur son tombeau. »

Fustel de Coulanges explique le personnage d’Enée, dans Virgile, par ce culte religieux dont les fondateurs, ceux qui posaient le foyer du feu sacré, étaient l’objet. « C’est l’arrivée d’Énée, ou plutôt c’est le transport des dieux de Troie en Italie qui est le sujet de l’Enéide. Le poète chante cet homme qui traverse les mers pour aller fonder une ville et porter ses dieux dans le Latium,


dum conderet urbem
Inferretque Deos Latio
  1. Voir, dans la Revue du 1er mars 1896, le bel article de M. Paul Guiraud, où l’importance de la thèse latine, comme première forme du grand ouvrage de Fustel de Coulanges, est par trop amoindrie.