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d’eux-mêmes dans l’intérêt de l’enseignement, pouvaient en sûreté de conscience ne pas aller au-delà, puisqu’ils restaient fidèles au programme. On ne leur en fit point un reproche.

Mais, malgré les instructions d’en haut, malgré même la triste modicité des émolumens qui rendait impossible toute entreprise hardie, plusieurs des premiers partis avaient des ambitions de chercheurs. Observer, voyager ne leur suffisait pas : ils aspiraient à inventer, tout au moins à trouver ou à retrouver. Ils se rappelaient les paroles de M. Piscatory, « le morceau de bois et le couteau avec lesquels nous devions faire quelque chose ». Ce discours de quelques mots ouvrait des perspectives plus étendues que les horizons auxquels s’étaient arrêtées les prévisions de M. de Salvandy. Nul, certes, ne méditait la désertion du professorat : plusieurs, sinon tous, en espéraient du moins, pour un avenir encore lointain sans doute, les situations les plus élevées ; et, dans les rêves de quelques-uns, passait et repassait l’image tentatrice de l’Institut. Il fallut tâtonner, s’interroger. Néanmoins, au bout d’un an, des sujets apparurent, et les besognes précises commencèrent.

Notre attention se porta d’abord vers la géographie. Mais, chez Hanriot, ce fut une véritable passion. Il allait chaque jour, de grand matin, à la chasse des cartes, des atlas ; il en achetait, s’en faisait prêter. Avant de lui donner des joies, cette passion lui causa des chagrins. Par exemple, en revenant de Corinthe, on déjeuna et l’on fit la sieste dans un poste de gendarmes. Après l’avoir quitté et à quelques kilomètres de là, Hanriot s’aperçut, en visitant son sac, que la belle carte de Grèce par notre Etat-major n’y était plus. Ces gendarmes, eux aussi, paraît-il, aimaient la géographie. Nous tournâmes bride pour leur réclamer la carte. Ils répondirent très calmes : δὲν ἠξεύρω (den êxeurô), ce qui signifiait : je ne sais ce que vous voulez dire. Cette mésaventure n’était pas pour décourager notre ami. Sa passion n’en devint que plus ardente. Bientôt il rechercha la topographie dans la géographie, et se livra conjointement à l’une et à l’autre.

L’acte d’accusation de Socrate, tel qu’il était conservé dans le temple de Déméter, servant de greffe aux Athéniens, et tel que le rapporte Diogène Laerce qui l’y avait lu, était ainsi conçu : « Mélitus, fils de Melitus, du dème de Bithos, accuse par serment Socrate, fils de Sophronisque, du dème d’Alopèce, etc. » Lisez et relisez ce texte à Paris, vous ne penserez guère qu’à Socrate et