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REVUE. CHRONIQUE.

être, pour tous les motifs que nous venons de donner, médiocrement opportune à l’instant précis où elle s’est produite. Loin de nous la pensée d’interdire à la Grèce de conserver des vues et des espérances sur la Crète ! Nous avons toujours dit que c’est du côté de la mer qu’étaient ses véritables destinées. Un jour ou l’autre, à moins de très grandes maladresses de sa part, la Crète lui appartiendra. Pour le moment, cette solution aurait le double défaut d’être mal justifiée par les événemens antérieurs, et de se présenter au milieu des circonstances dont nous venons d’indiquer les périls : encore ne l’avons-nous fait que d’une manière incomplète. Il faut rendre à la Russie la justice qu’elle l’a compris. Elle a mis l’intérêt général très au-dessus de son amourpropre. Au moment où la polémique était la plus vive sur la candidature du prince de Grèce, et où lord Salisbury faisait entendre son discours tiède, pendant que M. de Bulow prononçait le sien, à la fois glacé et glacial, le Messager du gouvernement publiait à Saint-Pétersbourg une note évidemment officieuse, d’où il semble bien résulter que la candidature hellénique est dès maintenant retirée. « La Russie, dit cette note, a exprimé franchement au Sultan et aux grandes puissances son opinion sur l’état actuel de la question crétoise ; mais elle ne persistera pas du tout à demander que l’on accepte la solution proposée par elle, si quelque autre puissance européenne parvient à trouver un autre moyen par lequel on puisse mettre un terme aux difficultés présentes, et qui, tout en répondant à la fois aux désirs du Sultan, et à ceux des puissances et des Crétois, fournisse une base pour résoudre dans l’avenir la question crétoise. » La note officieuse ajoute que la Russie ne fera pas de proposition nouvelle ; elle laisse maintenant cette initiative à d’autres ; elle se borne, ce qui est son droit, à décliner toute responsabilité dans de nouveaux retards. De plus, elle ne tolérera pas qu’un gouverneur soit imposé par la force ; mais qui songe à le faire ? Enfin, elle ne permettra pas qu’on augmente l’effectif des troupes turques dans l’île ; mais qui aurait la faiblesse de le permettre ? Sur tous ces points, les puissances sont d’accord, sans qu’aucune mésintelligence soit possible entre elles et la Russie. On comprend d’ailleurs très bien que celle-ci, après avoir mis en avant une candidature qui n’a pas réussi, laisse à ceux qui l’ont repoussée le soin d’en imaginer une autre. Nous nous sommes trouvés précisément dans le même cas. Le gouvernement de la République n’avait sans doute pas pris aussi directement sous son patronage la candidature de M. Numa Droz, que le gouvernement russe a pris sous le sien celle du prince Georges ; mais enfin il l’avait suggérée, et c’est une initiative dont il n’a pas à rougir.