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REVUE. CHRONIQUE.

Croit-elle la paix compromise par la candidature du prince Georges ? Cette seconde proposition, excessive à coup sûr si on la présente sous une forme absolue, est faite néanmoins pour attirer l’attention. On a tellement dit et répété, au début des affaires d’Orient, qu’il était impossible d’accorder une extension territoriale à la Grèce, soit sur le continent, soit même en Crète, sans s’exposer à faire naître dans les Balkans des incidens redoutables ; l’affirmation de tous les ministres des Affaires étrangères a été à cet égard si tranchante ; les craintes témoignées par l’Europe ont été dès lors si sincères, qu’on éprouve un peu d’étonnement en présence de ce qui se passe aujourd’hui. Ce qu’on nous a dit autrefois était-il vrai, oui ou non ? Si cela était vrai avant la guerre, est-ce que cela a cessé de l’être depuis ? Pourquoi ? Nous avouons ne pas le comprendre très bien. Si on voulait finir par donner la Crète à la Grèce, il aurait mieux valu commencer par là. On aurait évité une guerre certaine, puisqu’elle a eu lieu, tandis que l’autre, qu’on prétend avoir évitée, reste hypothétique, et le deviendrait encore davantage si on réalisait aujourd’hui sans danger la solution devant laquelle, il y a quelques mois, tout le monde a reculé avec épouvante. Nous savons bien qu’il ne s’agit pas de donner dès maintenant la Crète à la Grèce ; mais personne ne se tromperait sur l’avenir réservé à la grande île, le jour où on lui enverrait pour gouverneur un fils du roi Georges. On aurait beau répéter que ce gouverneur représenterait le Sultan et non pas le roi, personne ne se méprendrait sur le caractère provisoire et transitoire de cette combinaison. En tout cas, la Grèce l’aurait acceptée avec reconnaissance avant la guerre ; elle s’en serait contentée. Comment expliquer qu’on ait dû la lui refuser alors, si on la lui accorde à présent ?

L’état des Balkans est-il donc fait pour inspirer plus de sécurité qu’à cette époque ? Non, certes : nous serions tentés de dire plutôt le contraire, tout en recommandant à nos lecteurs de ne pas exagérer notre pensée. La Serbie s’est dérobée à l’influence russe pour retomber sous l’influence autrichienne. C’est là un fait qui s’est renouvelé trop souvent pour qu’on le regarde en lui-même comme inquiétant. La Bulgarie et la Serbie ont obéi l’une et l’autre à des oscillations si nombreuses, tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre, qu’il ne faut ni s’étonner, ni s’effrayer de voir l’une d’elles se livrer une fois encore à un de ces mouvemens alternatifs. Mais enfin elles acceptaient toutes les deux, il y a peu de temps, les directions de Saint-Pétersbourg, et cette entente est rompue. Ce n’est même pas assez de parler de la Bulgarie et de la Serbie : le Monténégro était