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régimens de cuirassiers, réduits à 500 hommes, désunis par l’impétuosité même de la charge, et leurs chevaux hors d’haleine, se trouvent seuls au milieu de l’armée de Wellington. Ils sont au sommet d’un triangle de feux, fusillés du bois de Bossu par les Hollandais, des remblais de la route de Namur par les Anglo-Hanovriens de Picton, des maisons des Quatre-Bras par les tirailleurs de Brunswick et mitraillés de la route de Bruxelles par les batteries du major Kulmann. Le comte de Valmy culbute sous son cheval tué. C’est le signal de la débandade. En vain il se relève et veut reformer ses escadrons, les cuirassiers n’écoutent plus ses commandemens. Ils tournent bride, enfoncent leurs éperons dans le ventre des chevaux, et, par petits groupes, en désordre, mais toujours la pointe menaçante, ils retraversent sous une grêle de balles les deux lignes ennemies, rapportant comme trophée le drapeau du 69e anglais.

Ces cavaliers affolés et lancés à une allure vertigineuse bousculent et entraînent dans leur fuite plusieurs bataillons de la division Foy et de la brigade Baudouin. Bachelu, qui s’avance de Piraumont, voit de loin la déroute et arrête aussi son mouvement. Seule la cavalerie de Piré continue à pousser à l’ennemi. En un temps de galop, elle est sur les bataillons de Kempt. Les carrés anglais lui opposent leurs baïonnettes et leurs feux flanquans. C’est sans effet que lanciers et chasseurs multiplient les charges. Ils finissent par se replier.

À ce moment, le colonel Baudus, envoyé par l’Empereur, rejoignit le maréchal Ney « qui se tenait au point le plus exposé. » Baudus lui transmit les paroles de Napoléon : « Il faut absolument que l’ordre donné à d’Erlon soit exécuté, quelle que soit la situation où se trouve le maréchal Ney. Je n’attache pas grande importance à ce qui se passera aujourd’hui de son côté. L’affaire est toute où je suis, car je veux en finir avec l’armée prussienne. Quant au prince de la Moskowa, il doit, s’il ne peut faire mieux, se borner à contenir l’armée anglaise. » Ney, fou de colère, la face pourpre, brandissait son épée comme un fou. Il écouta à peine les paroles de Baudus, et s’écria qu’il venait d’envoyer à d’Erlon l’ordre de regagner Frasnes. Baudus s’efforça en vain de le faire revenir sur cette détermination. Le maréchal lui faussa compagnie pour se jeter au milieu de son infanterie en déroute. Il la rallia promptement et la mena contre la brigade Pack qui s’avançait offensivement.