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Ligny se compose de deux rues parallèles à la Ligne et séparées par ce ruisseau : la rue d’En-Haut au sud, la rue d’En-Bas au nord. Entre les deux rues, se trouvent quelques maisons éparses, la place de l’Eglise, et une vaste prairie communale qui descend en pente assez raide jusqu’à la Ligne. Débusqués de la rue d’En-Haut, les Prussiens reprennent position dans le cimetière, dans l’église, dans les maisons de la place. Les soldats de Pécheux s’avancent vaillamment sous les feux croisés. Les uns se ruent dans les maisons, les autres escaladent les talus du cimetière. À ce moment, un gros d’ennemis qui s’est rallié à l’abri de l’église charge les Français désunis par ces assauts multiples. C’est sur la petite place, trop étroite pour le nombre des combattans, une poussée terrible, un corps-à-corps sans quartier, un abominable carnage. On se fusille à bout portant, on frappe à coups de baïonnettes, à coups de crosses, à coups de poings. « Les hommes s’égorgeaient, dit un officier prussien, comme s’ils avaient été animés d’une haine personnelle. Il semblait que chacun vît dans celui qui lui était opposé un mortel ennemi et qu’il se réjouît de trouver l’occasion de se venger. Personne ne songeait à fuir ni à demander grâce. »

Les Prussiens finissent par plier sous la masse des assaillans. Ils abandonnent les maisons, l’église, le cimetière et se retirent en désordre par les deux ponts de la Ligne. On les poursuit la baïonnette aux reins. Plus d’un est précipité dans le lit bourbeux du ruisseau. Sur la rive gauche, cependant, l’ennemi, renforcé par les deux derniers bataillons de la division Henckel, se reforme et fait tête. Des Prussiens tirent des haies et des saules qui bordent le ruisseau, tandis que d’autres tirent, par-dessus leurs camarades, des fenêtres, des lucarnes, des murs à meurtrières de la grosse ferme et des maisons de la rue d’En-Bas. Malgré ce terrible feu en étages, une poignée de soldats du 30e et du 96e marche au pont de la place de l’Eglise, le franchit et repousse les tirailleurs contre les maisons de la rive gauche. Mais Jagow amène quatre bataillons au secours de Henckel. Les Prussiens rejettent les assaillans sur la rive droite et tentent même de repasser les deux ponts. C’est au tour des Français de défendre le ruisseau. On se fusille d’un bord à l’autre, à quatre mètres, à travers un rideau de fumée. Il fait un temps d’orage, dont la chaleur suffocante ajoute encore à celle des coups de feu et des incendies allumés par les obus. Ligny est une fournaise. Dans les bruits du