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lui sont insupportables : les attentions qu’on lui prodigue n’excitent que son secret dédain ; l’amour, à ses yeux, n’est qu’un leurre : elle croit avoir fermé son cœur à jamais. Et, — si peu ordinaire qu’il soit de mettre quelque chose de son âme dans le petit jeu des bouts-rimés, — sans doute exprima-t-elle sincèrement sa pensée dans ces vers qui, au cours d’une réunion intime, tombèrent un jour de sa plume :


N’avoir jamais d’amant, telle est ma... fantaisie ;
Je crains trop les transports du dangereux... Amour,
Et j’évite ce Dieu, guidé par la... Folie,
Comme l’oiseau timide évite le... vautour.


Telle était Mlle de Condé quand, au seuil de sa vingt-cinquième année, elle quitta Panthémont pour entrer définitivement dans le monde. Depuis un an déjà, alléguant sa volonté ferme de ne se point marier, elle exprimait le désir de sortir du couvent et d’avoir « sa maison », ainsi qu’il était d’usage pour les femmes de son rang. La question difficile était celle du logement. Le prince de Condé, pour plus d’une bonne raison, ne se souciait guère de recevoir sa fille au Palais-Bourbon, où, — comme dit Bachaumont, d’ordinaire moins pudique, — « il se passait des choses peu convenables à l’âge et à l’innocence d’une vertueuse princesse », à qui le cloître ouvrait à peine ses portes. Veuf à 24 ans, on ne pouvait attendre du prince une éternelle fidélité à la mémoire de sa femme ; et, de fait, il semble bien qu’il n’y songea pas un instant. Dès l’année qui suivit son deuil, il rencontrait à Versailles la jolie princesse de Monaco[1], très récemment et très mal mariée, s’en éprenait avec violence, et, après bien des péripéties inutiles à rapporter ici, l’enlevait à son foyer pour l’installer au sien, où elle tenait le rang d’une épouse légitime. Cette liaison, qu’un demi-siècle de durée devait rendre presque respectable, n’empêchait point au reste les amours de passage ; Mme de Monaco, jalouse et emportée, prenait les choses au tragique ; et c’étaient, dans ce triste ménage, tantôt des scènes de violence, tantôt des « sermons de morale, » où le prince de Condé, au dire d’un témoin oculaire, semblait fort mal à l’aise et fort « petit garçon »[2]. Le reste de la famille n’offrait guère un plus édifiant exemple : ni le duc de Bourbon, frère de la princesse Louise, ni son grand-père, le maréchal de Soubise, ne se piquaient, dans leurs paroles ou

  1. Née Marie-Catherine de Brignole-Sale.
  2. Correspondance de Mme de Bombelle.