Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

année un séjour où elle se plaisait fort. Elle en devint promptement la plus belle parure, et il ne fut bientôt plus possible de s’y passer de sa présence. Lors de la célèbre visite que firent à Chantilly, en juin 1782, le comte et la comtesse du Nord, la princesse Louise, — en l’absence de la duchesse de Bourbon, depuis peu séparée de son mari, — eut la charge d’aider son père à faire aux futurs souverains de Russie les honneurs de cette magnifique résidence. Les chroniqueurs décrivent l’enthousiasme qu’elle souleva dans la foule, l’impression qu’elle fit sur ses hôtes, quand, le soir de la fête, elle apparut aux yeux dans une gondole dorée, costumée « en voluptueuse naïade », radieuse de grâce et de jeunesse, semblable à une vision féerique, et guida, parmi les rives du canal étincelantes de lumière, le couple auguste jusqu’à l’île d’Amour, où l’attendaient de nouvelles splendeurs. La « gravité sibérienne » du fils de la grande Catherine sembla, pour la première fois depuis son arrivée en France, s’adoucir et se dérider, et chacun, — sauf peut-être celle qui en était l’objet, — remarqua l’admiration éblouie dont il ne put se défendre. « Elle est belle à la manière des reines, dit un spectateur de cette scène ; il y a de la puissance et de la force jusque dans son sourire ! »

Cette fête incomparable fut, pour la princesse Louise, comme la consécration publique de son charme et de sa beauté. Ce n’est plus la frêle jeune fille, à la physionomie naïvement enfantine, qu’évoque une miniature de sa quinzième année. Sa taille haute s’est développée ; le buste est plein, arrondi, la tête droite et fière, le visage noble et régulier, au teint plein de fraîcheur, au nez droit, à la lèvre un peu moqueuse, qu’adoucit l’expression « angélique » de ses yeux. « Blanche déesse à face ronde ! » s’écrie lyriquement l’un des poètes de Chantilly ; et le surnom lui est resté. « C’est un front à porter une couronne... ou un voile de religieuse », dit encore, dans une phrase prophétique, une de ses contemporaines. Malgré cette dignité naturelle, sa simplicité est parfaite ; si elle demeure au fond de l’âme un peu « craintive » et timorée, ses manières aisées n’en laissent rien paraître. La coquetterie lui est totalement étrangère, son « désir de plaire » ne provient que de sa bonté. « Quelquefois, confesse-t-elle, ces dames me disent que je suis jolie, et je l’entends dire aussi à quelques hommes. Autrefois, cela m’était assez égal, et, à bien m’examiner même, cela me plaisait plus que cela ne me déplaisait ; à présent, cela m’impatiente... » Si les flatteries lui répugnent, les galanteries