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Blessure de sentiment ou mécompte d’amour-propre, cet échec, — à l’âge délicat où la jeune fille se dégage de l’enfance et prend conscience d’elle-même, — laissa des traces profondes dans l’âme de la princesse Louise : il la dégoûta à la fois du monde et du mariage. Sa défiance naturelle de soi et des autres s’accrut de l’offense faite à sa fierté. Elle se replia sur elle-même, s’accoutuma dès lors à vivre seule, et à « se rendre, comme elle dit, sa solitude agréable. » Ce monde, qu’elle connaissait à peine, et dont elle avait déjà souffert, elle l’enveloppa de son mépris, le jugea « fou, insipide ou méchant. » Le bonheur lui parut « une chimère, dont la vaine poursuite n’était qu’une peine de plus », et elle n’imagina pas autre chose que « de n’y pas prétendre et de ne même pas le désirer. — N’ayant jamais vu de gens réellement heureux, s’écriera-t-elle plus tard, je n’ai pas cru qu’il en existât ! » Belle, riche et princesse, les partis, comme on pense, ne lui firent pas défaut : le duc d’Aoste, le prince de Carignan, le prince des Deux-Ponts, et même, s’il en faut croire les gazettes, Stanislas-Auguste Poniatowski, roi de Pologne, s’offrirent successivement à son choix. À ces propositions, elle ne voulut jamais prêter l’oreille, décidée, — ainsi qu’elle le confia un jour à sa belle-sœur, la duchesse de Bourbon, — à rester fille éternellement, plutôt que de donner sa main sans son cœur. Elle reporta sur les siens, sur son père, sur son frère, sur son neveu, le duc d’Enghien, qu’elle aimait avec la passion d’une mère, tous les trésors de sensibilité dont débordait son âme, résolut intérieurement de leur consacrer sa vie, et crut ainsi satisfaire toutes les aspirations d’une nature romanesque, éprise d’idéal, avide de dévouement.

Rendons cette justice au prince de Confié qu’il fut touché de cette vive affection et y répondit du mieux qu’il lui était possible. S’il s’était montré jusqu’alors un père assez indifférent, abandonnant sa fille à des mains étrangères, et paraissant, des mois entiers, oublier jusqu’à son existence, il changea, vers cette époque, de manières et d’attitude, la prit plus fréquemment avec lui, lui témoigna de jour en jour un plus tendre intérêt. C’est ainsi qu’il inaugura l’habitude de la mander, pendant la belle saison, au château de Chantilly[1]. En 1777, elle y demeura, pour la première fois depuis sa tendre enfance, tout l’été et l’automne, y fut fêtée de tous, et obtint la promesse de renouveler chaque

  1. La coutume du prince de Condé était de faire trois séjours par an à Chantilly, au printemps, en août, puis pendant deux mois d’automne.