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C’est à l’époque du mariage de son frère que la princesse fut présentée à la Cour. « Elle y a beaucoup plu, écrit Mlle Demars, tout le monde la trouve charmante... Elle réussit fort bien, et semble faite pour cela. » Elle reçut à ce moment le nom de Mademoiselle, sous lequel elle fut désignée pendant quelques années[1]. Elle avait alors treize ans, était fort grande pour son âge et d’une taille élancée, mais avec un air de santé, des joues rondes et fraîches, des yeux brillans de gaieté, une physionomie vive et spirituelle, « Hébé-Bourbon » enfin, comme l’appelait galamment le poète Dorat. Simple et dépourvue de morgue, elle traitait avec la même grâce, quelle que fût leur condition, tous ceux qui avaient su gagner sa sympathie : elle se lia étroitement, dans son premier couvent, avec la fille d’un pauvre médecin de campagne, ne cessa jamais par la suite de l’admettre en son intimité et de la loger chez elle chaque fois qu’elle venait à Paris. Cette facilité d’humeur n’excluait cependant pas une haute fierté de race ; la gloire du nom de Condé fut de tous temps la grande passion de sa vie. Elle avait quinze ans à peine lorsqu’elle lut à Chantilly, dans « un bel in-quarto » prêté par le bibliothécaire, l’histoire de son illustre aïeul. Quand elle en fut à cet endroit, où le grand Condé, encore au temps de sa jeunesse, est contraint par son père de retourner à Lyon, pour apporter ses excuses à l’archevêque de la ville[2], qu’il avait négligé de saluer à son récent passage, le feu de l’indignation monta au visage de la jeune fille ; l’humiliation infligée au héros dont le sang coulait dans ses veines lui fut intolérable : « J’étais seule, raconte-t-elle, je pris une plume, et je rayai à force ledit passage, en m’écriant : « Ceci sera toujours lu une fois de moins ! » Elle en fit par la suite l’aveu à son père, mais ne convint jamais qu’en agissant ainsi elle avait pu « gâter » l’ouvrage.

À cette époque, les distractions mondaines, que la règle facile de Panthémont lui permettait d’aller chercher à Paris comme à Versailles, étaient loin de déplaire à la jeune princesse, sans détruire son penchant pour une vie plus tranquille et des plaisirs plus simples. « Je ne les recherchais ni ne les fuyais, dit-elle ; j’y aurais renoncé sans aucune peine, mais, une fois en jouissance, j’y trouvais de l’amusement. » Les meilleurs momens de l’année étaient sans contredit ses séjours au château de Vanves, charmante

  1. A vingt et un ans, elle reprit le titre de Mademoiselle de Condé.
  2. C’était le frère du cardinal de Richelieu.