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de la Touraine, l’abbaye offrait aux pensionnaires de vastes et beaux jardins, où elles s’ébattaient à leur aise, des serres, des orangeries, garnies de plantes et de fleurs de toutes sortes, des charmilles et des bosquets, où des nuées d’oiseaux exotiques, acclimatés avec art, volaient en liberté. La princesse Louise conserva toujours de ce paisible temps de son enfance un souvenir attendri ; elle pleura beaucoup quand, à douze ans, un ordre de son père la rappela à Paris, pour y recevoir, dans une autre maison, une éducation plus mondaine.

La veille du jour où elle allait se séparer à jamais d’une enfant dont elle avait jusqu’alors façonné l’esprit et l’âme à sa guise, l’abbesse de Beaumont, dans un entretien suprême, lui rappela en peu de mots les enseignemens et les principes qu’elle jugeait essentiels à la direction de sa vie ; la mit en garde contre « la manière de penser des personnes du monde » ; la prévint des étonnemens, des pièges, des dangers, qui l’attendaient sans doute dans la société nouvelle où elle allait entrer. Ces recommandations émues, tombées d’une bouche respectée, accompagnées de baisers et de larmes, frappèrent vivement l’imagination de celle à qui elles étaient adressées. L’impression qu’elle en ressentit eut sur la conduite de toute son existence une action décisive. « J’étais, dit-elle, fort enfant, même pour mon âge, et je ne savais ce que c’était que réfléchir ; mais ma tante avait parlé ! Je conservai ses paroles dans mon cœur ; elles s’y gravèrent profondément, et n’en ont point été effacées. » Touchant aveu d’une créature d’impulsion et d’instinct, sur qui la froide raison n’aura jamais qu’une prise passagère, mais que le sentiment entraîne et domine, et qui appartient sans réserve à qui sait faire vibrer les cordes de son cœur.

Mme de Vermandois ne s’était pas trompée dans ses prévisions : la princesse Louise trouva, au sortir de Beaumont, une existence bien différente de ce qu’elle avait connu jusqu’alors. La coutume de France, pour les princesses sans mère, était de les laisser au couvent jusqu’à leur mariage, ou, si elles restaient filles, jusqu’à leur vingt-cinquième année. Le prince de Condé désigna pour sa fille l’abbaye de Panthémont, située rue de Grenelle[1], sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui le temple protestant, maison d’un caractère à la fois religieux et mondain, plus mondain peut-être

  1. Actuellement au n° 106.